Le 29 décembre 1951, mes parents
accompagnés de leurs enfants, quittèrent le douar Sahel,
situé dans la commune de Ziama-Mansouriah, à une cinquantaine
de kilomètres à l'est de Bougie, pour se rendre à
Bouzaréah, sur les hauteurs d'Alger. J'avais, à cette époque,
sept ans et demi. Au moment du départ, l'ambiance était
morose, triste, difficile à décrire
Une fois installés à Bouzaréah, plus exactement au
quartier du Clos Saint-Lucien, à quelques pas de l'école
annexe de l'ENIB, les membres de ma famille commencèrent alors
à s'habituer à leurs nouveaux modes de vie citadine.
On fit la connaissance des habitants du voisinage, en majeure partie des
Français, parmi lesquels je citerai les Iboura, Marti, Assaya,
Marsan
Dans ce même quartier, il n'y avait en tout et pour
tout que quatre familles musulmanes : les Benouiniche, Ouaerezki, Zouaoui
et la nôtre. Plus bas, à deux kilomètres du village
de Bouzaréah, plus précisément à Air de France,
c'étaient les Djaffer qui possédaient pas très loin
de la rue du Bourbonnais une centrale laitière nommée Soladif.
Cela m'amène à évoquer les anciennes familles (autochtones)
vivant à Bouzaréah [1] et Air de France,
dont la majorité était d'origine turque.
Il s'agit notamment des Tchikken [ou Tchékiken, propriétaire
de la manufacture de cigarettes "Match"] qui avaient un magnifique
château [2] à Bouzaréah centre,
à quelques mètres du café-restaurant "Dar-el-Alia".
Venaient ensuite les Guellati propriétaires d'un immense dépôt
de matériaux de construction. Il y avait également la famille
des Djennadi dits "Kéramane" dont Dahmane qui assurait,
à bord de son minibus dénommé le "Petit Montagnard",
la liaison entre La Tribu et la place Dutertre à Bab-el-Oued en
passant par le Village Céleste et Sidi Ben Nour.
Dans ce même quartier de La Tribu vivait la famille Boulendjas et,
à quelques mètres de la Mairie, il y avait les Benmalek
dont Hamed qui était instituteur à l'école du village
située juste derrière la Poste.
Enfin la famille Ghiat qui possédait en face de la place de Bouzaréah
une épicerie [3] où la clientèle
pouvait trouver tout ce dont elle avait besoin : les denrées alimentaires
telles que semoule, farine, concentré de tomates, huile de table
"Lesieur", fromages ; les articles de toilette, les détergents
et même de petits paquets de charbon
Les clients ayant un
emploi et habitant à Bouzaréah pouvaient même acheter
à crédit.
Aujourd'hui, ces cartes de crédit ont disparu
A proximité de ce magasin d'alimentation générale,
se trouvait une Brasserie tenue par le couple Mercadal. Je cite cela,
parce que juste derrière ce café, il y avait une salle de
cinéma où étaient projetés tous les samedis
et dimanche après-midi, exactement à 15 heures, des films
westerns [4 ]pour la modique somme de 200 centimes
à l'orchestre et 250 centimes au balcon. qui eut un énorme
succès, et quelques célèbres comédies musicales
américaines.
Le premier film que j'avais vu, le 30 juin 1958, à l'occasion de
mon succès au Certificat d'Etudes Primaires fut "La chevauchée
fantastique" [de 1939] avec John Wayne comme acteur principal. La
semaine suivante, les spectateurs avaient eu droit à la projection
de "Rivière rouge" [de 1948] dont le premier rôle
était tenu par le même John Wayne.
C'est à partir de cette date que je suis devenu amateur de cinéma
et particulièrement des films westerns. J'ai, au fil des semaines,
chaque dimanche après-midi, assisté à la projection
de pas moins d'une vingtaine de films parmi les quels "Le train sifflera
trois fois" [de 1952], avec Gary Cooper "La flèche brisée"
[de 1950] et "Les sept mercenaires" [de 1960] dont l'acteur
principal était Yul Brynner.
D'autres acteurs tels Randolph Scott, James Stewart, Robert Mitchum, Burt
Lancaster, Kirk Douglas, Richard Widmark, Audie Murphy, Charles Bronson,
Henry Fonda
ont également tenu des rôles de premier
plan dans ces films. C'était "l'âge d'or" des westerns
aux USA durant la décennie 1950-60. La majeure partie de ces films
était tournée au Nevada, au Kansas, en Oklahoma, etc. Les
principales séquences étaient axées sur des combats
entre cow-boys et indiens peaux-rouges, entre bandits et représentants
de la Loi, dont le chef était le sheriff du comté. Bref,
des films d'action qui étaient si agréables à voir
Juste en face de la Brasserie du Centre de Bouzaréah, il y avait
jadis, un petit parc agrémenté d'arbres de diverses essences
[5]. Les personnes âgées venaient s'y reposer à
tout moment de la journée, particulièrement durant les saisons
d'été et de printemps. A proximité de ce jardin public,
il y avait le terminus des trolleybus (à perches) des C.F.R.A.,
remplacés quelques années plus tard par les cars de la R.D.T.A.
de la ligne numéro 6, reliant Bouzaréah centre à
la Place du Gouvernement en passant par Air de France, le parc de Miremont,
Chevalley, Châteauneuf, la Scala, les Tagarins, le boulevard de
la Victoire, Montpensier Cadix et enfin la rue de la Lyre.
[1] Certaines de
ces familles vivent toujours à Bouzaréah et quelques membres
sont déjà inscrits sur la liste des "retrouvés".
[2] Francis Arbona se souvient que cette demeure était une grande
et belle villa toute blanche, avec une grande pergola, dominant la baie
d'Alger.
[3] D'après des photos récentes de l' "immeuble Mercadal",
l'épicerie existe toujours.
[4] Le cinéma Mercadal ne projetait pas uniquement des films de
westerns. Il y avait aussi une clientèle fidèle pour les
grands classiques du cinéma comme la trilogie de Pagnol : Marius
[de 1931], Fanny [de 1932] et César [de 1936].
[5] Francis Mercadal se souvient plutôt que, dans les années
40, la place, avec son kiosque à musique au milieu, était
revêtue de tuf et ombragée par quelques platanes. Au début
des années 50, la place avait été transformée
et la salle des fête construite sous la place côté
ravin.
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