Histoires de "bagnoles" : le "Pick-Up One" des Mercadal
par Francis Mercadal le 21 décembre 2010
Nouvelle page mise sur le site le 26 décembre 2009
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LE "Pick-Up One"
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Pour les besoins du commerce, mais aussi pour satisfaire,dans notre magnifique pays, une envie bien naturelle de grand air, il nous fallait impérativement disposer d'un moyen de transport adapté, et pour être plus précis d'une camionnette.
Il n'était pas question évidemment, compte tenu des capacités de financement de la famille, d'aller chez Peugeot ou chez Citroën, pour choisir le modèle adéquat. C'était juste après la guerre, j'avais 10 ans et les grosses transformations du Café du Centre n'avaient pas encore commencé.
Il était cependant nécessaire de trouver une solution et encore une fois l'esprit imaginatif du père Alfred, allait faire merveille. C'est en effet à partir d'une limousine C4 de chez Citroën, une voiture qui avait déjà sûrement beaucoup roulé, achetée à un particulier pour une bouchée de pain, que nous allions, après de profondes modifications, une révision complète du moteur, un gros travail de nettoyage et de peinture, préparer le premier "Pick-up" roulant sur les hauteurs d'Alger.
La limousine, vu son âge, était assez fatiguée, mais elle présentait encore très bien sous sa brillante couleur bordeaux. Le modèle C4 était sorti en 1928 et se présentait sous deux versions: une courte et une longue. La version longue avait été choisie.

Dans le grand garage que François Arbona. laissait à la disposition de mon père, voilà donc la C4 installée près de l'immense établi recouvert d'une multitude d'outils de mécanicien, de carrossier, de peintre….Il fallait maintenant se relever les manches et se mettre au boulot.
Les opérations ont duré environ deux mois et demi à raison de quelques dizaines d'heures par semaine, car il fallait aussi "tenir le café". Sans aucune hésitation, la C4 fut dans un premier temps entièrement démontée : carrosserie, moteur, électricité.… puis, avec l'intervention du chalumeau, de la meule, du poste de soudure..., l'habitacle fut raccourci par le milieu, juste sur l'arrière des portières avant. La paroi arrière ainsi récupérée, fut alors découpée à la bonne longueur et ressoudée à la partie avant, de manière à obtenir une très jolie cabine à deux portes.
La dernière version de la C4 est apparue au salon de 1931. La C4 G qui nous concerne, dispose d'un moteur de 1767 cm3 développant 32 CV à 2700 tours/min lui permettant d'atteindre une vitesse de 90 km/h,
Les schémas ci dessous montrent très clairement les aspects avant et après transformation, de notre C4. Le lecteur doit savoir que ce modèle CITROEN C4 avait été quelques années auparavant, équipée d'une chenillette à l'arrière, la grande vedette de la "Croisière Jaune" en Chine en 1931 et 1932.


La remise en état de la mécanique fut tout à fait classique pour l'époque : réfection de l'embrayage, remise en état des freins, de la suspension, pose de segments et de soupapes neufs. Puis, remontage de la culasse et un bon rodage de soupapes. Avant l'assemblage final, des essais étaient nécessaires. Mémorables ces essais. Pour tester toutes les fonctions principales, ils consistaient à piloter l'engin, assis sur une planche boulonnée au châssis, en descendant sur la route des "Petites Sœurs des Pauvres" et de "Beau Fraisier". Le remontage n'a pu commencer qu'après avoir constaté que tout fonctionnait parfaitement : remise en place de la cabine, du capot, de tout le système électrique de confort…
Le "garage", c'était ma cour de récréation, le jeudi, après le déjeuner. Une mine incroyable d'objets curieux de toutes sortes : roues, outils, pièces de moteur, pots de peinture… Je passais là quelques heures à nettoyer à l'essence les pièces mécaniques de la C4, à gratter, frotter, poncer le châssis avant de le badigeonner au minium.
Quelques semaines supplémentaires furent encore nécessaires pour confectionner le plateau qui est venu précisément et presque automatiquement se positionner derrière la cabine de la C4 devenue camionnette. Le "Pick-up One" était presque prêt. Après les indispensables opérations de finition et la dernière couche de peinture, la première voiture des "Mercadal" à La Bouzaréah a pu traverser le village sous l'œil curieux et aussi admiratif des badauds.
Ce n'était pas la voiture de tout le monde, mais elle avait brillamment réussi son examen de passage devant le Service des Mines. L'été approchait et un test plus sérieux était maintenant indispensable. La première occasion fut la bonne.
Comme souvent, dans nos villages, un groupe de copains, que des hommes évidemment, s'était installé dans une ferme abandonnée à Francis-Garnier, loin après Cherchell, à environ 200 km d'Alger, pour passer une semaine à pêcher depuis la côte, dans une Mer Méditérrannée extrêmement poissonneuse dans cette région. L'histoire de ces pêcheurs mérite un petit paragraphe.
Faisaient partie de l'expédition : René Ségui, les frères Miano, Vincent Pascal, François Arbona, Joseph Ségui. Amenés là par le toujours très dévoué François Arbona, qui avec son gros camion Berliet, avait transporté un colossal volume de matériel , le groupe des six pêcheurs était en place depuis quelques jours, quand, invité par ses copains, mon père décida de les rejoindre au volant de son "Pick-up One" flambant neuf. 200 km, ce n'était, pas à l'époque, une petite affaire. Quand je pense que pour aller à Sidi-Ferruch distant de 21 km, c'était déjà une expédition !
Le matin suivant, très tôt à la pointe du jour, nous voilà donc, mon père au volant et moi sur le siège passager, sur la route vers l'ouest… Tout se déroulait parfaitement bien, le moteur ronronnait régulièrement... ça roulait, roulait, roulait...
Chéragas, Staouéli, Zéralda, Castiglione,Tipasa, Cherchell et encore plus loin Gouraya... L'objectif était encore à environ 40 km, quand brusquement, sur une route en forêt, très sinueuse et évidemment déserte, le moteur bafouilla, tressauta et s'arrêta. C'était la panne. Pas question évidemment d'appeler au secours le garagiste du coin. Il n'y avait personne à la ronde dans un rayon de 50 km. Sans s'affoler, comme si la chose était prévue et banale, mon père tenta, d'un coup de démarreur, de remettre en route le moteur qui accepta de repartir au ralenti. A la moindre accélération il s'étouffa de nouveau et cala. Mon père avait semble-t-il compris l'origine du problème. Disposant, et c'était bien nécessaire, d'une caisse à outils très complète et d'un grand nombre de pièces détachées, il souleva le capot, nettoya rapidement quelques composants de la chaîne d'allumage et surtout changea le condensateur, ce petit composant électrique monté tout contre la bobine d'allumage. Miracle ? Non je ne crois pas. Dès le premier coup de démarreur le "Pick-up One" retrouva toute son énergie.
Nous voilà donc repartis, tranquilles et fiers comme deux papes. Encore près d'une heure de route et, guidés par un plan d'accès précis, nous avons enfin découvert la ferme sur le coup de midi et demi. Quand je pense que notre voisin, le frère de la boulangère, m'avait dit avant de partir, d'un ton sarcastique:"Ah! Tu vas avec ton père à Francis-Garnier avec la C4 ! Tu es très courageux, c'est bien; mais tu vas revenir avec des cheveux blancs !". Pas de commentaire.
Après deux nuits passées au bord de la mer, dans cette vielle ferme, à 10 mètres de la grande bleue, sur une côte très rocheuse, admiratifs devant les exploits des pêcheurs qui jours et nuits attrapaient oblades, congres, sars, mérous, le moment de retourner chez nous à La Bouzaréahétait arrivé.
Avec beaucoup moins d'appréhension qu'à l'aller, nous avons parcouru les 200 km du trajet, en ne nous arrêtant qu'une fois pour vérifier le niveau de l'eau de refroidissement et manger un gros sandwich à la soubressade, bien sûr. Vers 16 heures devant chez nous, plus fiers que si nous avions gagné le "Dakar", satisfaits du bon fonctionnement du "pick-up One", la tête pleine d'histoires à raconter, nous avons pu distribuer aux voisins les deux douzaines de poissons que les pêcheurs de Francis-Garnier avaient attrapés pour eux.
Cette voiture, nous ne l'avons pas gardée très longtemps. Avec le développement du commerce et en particulier la mise en place du dépôt-vente des bouteilles de gaz et de réchauds de toutes sorte, il a fallu voir plus grand. Mon père a alors opté pour l'achat, chez Renault, d'un fourgon 1000 kg, qui sera un peu plus tard lui aussi, au cœur de quelques récits savoureux. Notre jolie et bien vielle C4 fit encore, je crois, le bonheur d'un cultivateur de légumes et de salades, qui avait trouvé là, le véhicule idéal pour aller s'installer tous les jours au célèbre marché de Bab-el-Oued.
Au village, le "Pick-up One" rendait beaucoup de services ; il était, comment dire, un peu en libre service. Il était là pour emmener, à leur match, le dimanche, quelques footballeurs de la SSB et, chaque année, joliment décoré, il transportait pour leur traditionnelle virée, les conscrits de la commune (voir la page "Quelques cérémonies"). Il a été également très utile pour ramener de l'Alama, de la petite ferme que dirigeait mon grand père Ségui, fruits, légumes et vin rosé,
Pour les vacances, le camping "sauvage" était très apprécié et la mission du "Pick-up One" était de transporter les campeurs vers la plage du Figuier ou vers Sidi Ferruch. Le matériel de camping, volumineux, encombrant, lourd, faisait l'objet d'un voyage spécifique encore assuré par François Arbona et son camion. La qualité des deux photos qui suivent n'est pas très bonne, mais après plus de soixante années passées dans un tiroir...

Avant de présenter les campeurs, installés "Plage des Pêcheurs" à Sidi Ferruch, il faut noter, sur la droite, la présence du "Pick-up One",
De gauche à droite : assis devant : Michelle Ségui et son frère René,
Assises au deuxième rang : ma mère, ma sœur Camille, Madame Galiana et sa fille.
Debout : Gilbert Ségui, Josette Roma, Francis Mercadal, ma grand mère Françoise Ségui, mon oncle René Ségui, et mes grands pères François Ségui et Raphaël Mercadal.
Tous les hommes étaient pêcheurs, chacun avec sa spécialité. Le grand père Mercadal, né sur l'île de Minorque en 1870, explorait tous les trous en longeant les parties rocheuses de la côte, pour ramener dans un grand sac de jute, poulpes et murènes. Le grand père Ségui, né à Bouzaréa en 1879, pratiquait de façon classique, la pêche au coup. Avec ses pieds de ligne, très sophistiqués, il assurait tous les jours la friture. L'oncle René ne pêchait que la nuit, car seuls les gros poissons très friands des crevettes roses qu'il leurs offrait, l'intéressaient. De mon côté, j'accompagnais les uns et les autres en fonction de mes occupations, mais ma spécialité était la pêche au "bouchon marseillais", le "rusquet" pour les experts. J'avais adapté cette technique aux caractéristiques de notre plage et équipé d'un masque d'un tuba, je passais des journées entières à piéger les mulets nombreux dans ce coin.

En arrière plan toujours le "Pick-up One" et dans le coin, à gauche, ma grand mère Françoise Ségui née Barcelo, née à El Achour (Dély-Ibrahim) en 1876, véritable chef du camp et devant, ma cousine Michelle Ségui, ma jeune sœur Paule et mon cousin René Ségui qui présentent la pêche de la dernière nuit.

Incroyable retour d'expérience ou "de Bouzaréah à New York"
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C'est à peine imaginable, mais c'est une histoire vraie...Les années ont passé, nous sommes, depuis 1963, installés à Saint-Médard en Jalles où je me suis spécialisé dans les études, le développement et la production des propergols solides pour missiles, roquettes et lanceurs civils. Holà ! nous voilà, semble t-il bien loin de la C4... Mais...
C'est juin 1982, 35 ans après l'aventure de la C4 en Algérie, en mission aux USA avec deux jeunes collègues, en vue de régler un problème technique rencontré au cours d'une production sous licence, nous avons le samedi, terminé notre séjour à New York par la visite du "World Trade Center". Après une dernière nuit dans Manhattan, nous voilà donc le dimanche matin dans le gros break de location , roulant tranquillement sur les quais de New York, en direction de Long Island pour déjeuner avant de rejoindre Kennedy Airport. Nous sommes largement dans les temps, puisque le décollage n'est prévu qu'en milieu d'après midi.
Brusquement, notre énorme américaine décide de s'arrêter. C'est la panne. Nous voilà bloqués dans un quartier plutôt désert. On approche de midi, Sans grand espoir, car tout est fermé, mes deux collègues partent, au hasard, tenter de trouver un mécano ou un agent Hertz.. Seul dans la voiture, gardien de toutes nos affaires entassées dans le break, j'ai tout le temps de réfléchir. Après plusieurs tentatives de mise en route, l'énorme moteur démarre, mais dès 1500 tours, il s'étouffe et s'arrête, C'est à ce moment précis, que dans un recoin de mon cerveau, se produit un flash : le CONDENSATEUR ! Il faut tenter quelque chose... Mes collègues sont partis depuis un bonne demi-heure. Allons-y ! J'ouvre l'immense capot et là, dans la seconde qui suit, sous mes yeux étonnés, je remarque le condensateur relié par un fil noirci par la poussière, à une grosse bobine. Deuxième flash, ce fil paraît, sur environ deux centimètres, plus blanc et légèrement tordu. Tiens ! Tiens ! Ne serait-il pas coupé ? Que faire ? Il fait chaud, j'enlève mon veston et je pense soudainement à l'épingle que j'ai, en principe, toujours piquée dans le revers du col de ma veste. Ouf ! Elle est bien là. Tant pis, elle va finir sa vie en Amérique. Avec beaucoup de soin, je la pique dans le sens de la longueur du fil reliant le condensateur à la bobine, en m'appliquant à bien traverser la zone blanchie de la gaine. Le suspense est maintenant à son comble, mais sans hésiter, je m'installe au volant, tourne la clef de contact et ! ! ! Ça ronronne. Timidement j'appuie sur la pédale d' accélération. 2000, 3000, 4000 tours....Le problème est réglé. Assez satisfait de mon dépannage, je vois alors arriver mes deux camarades, et j'en rajoute un peu. Ils n'ont évidemment pas trouvé l'aide espérée,
-Ne dites rien, ne bougez pas, regardez et écoutez.
Interloqués, ils restent figés alors que je m'installe au volant pour effectuer une démonstration tout à fait convaincante.
La suite n'a pas beaucoup d'intérêt. Si, quand même, en rendant la voiture chez Hertz, je leur ai signalé qu'il y avait une épingle dans le fil du condensateur. Ou ils n'ont rien compris, ou ils m'ont pris pour un débile. Le retour vers Paris s'est déroulé sans problème. Je n'ai même pas été appelé pour dépanner les moteurs du Jumbo747,


"L'engin..."


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