LE "Pick-Up One"
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Pour les besoins du commerce, mais aussi
pour satisfaire,dans notre magnifique pays, une envie bien naturelle de
grand air, il nous fallait impérativement disposer d'un moyen de
transport adapté, et pour être plus précis d'une camionnette.
Il n'était pas question évidemment, compte tenu des capacités
de financement de la famille, d'aller chez Peugeot ou chez Citroën,
pour choisir le modèle adéquat. C'était juste après
la guerre, j'avais 10 ans et les grosses transformations du Café
du Centre n'avaient pas encore commencé.
Il était cependant nécessaire de trouver une solution et encore
une fois l'esprit imaginatif du père Alfred, allait faire merveille.
C'est en effet à partir d'une limousine C4 de chez Citroën,
une voiture qui avait déjà sûrement beaucoup roulé,
achetée à un particulier pour une bouchée de pain,
que nous allions, après de profondes modifications, une révision
complète du moteur, un gros travail de nettoyage et de peinture,
préparer le premier "Pick-up" roulant sur les hauteurs
d'Alger.
La limousine, vu son âge, était assez fatiguée, mais
elle présentait encore très bien sous sa brillante couleur
bordeaux. Le modèle C4 était sorti en 1928 et se présentait
sous deux versions: une courte et une longue. La version longue avait été
choisie.
Dans le grand garage
que François Arbona. laissait à la disposition de mon père,
voilà donc la C4 installée près de l'immense établi
recouvert d'une multitude d'outils de mécanicien, de carrossier,
de peintre
.Il fallait maintenant se relever les manches et se mettre
au boulot.
Les opérations ont duré environ deux mois et demi à
raison de quelques dizaines d'heures par semaine, car il fallait aussi
"tenir le café". Sans aucune hésitation, la C4
fut dans un premier temps entièrement démontée :
carrosserie, moteur, électricité.
puis, avec l'intervention
du chalumeau, de la meule, du poste de soudure..., l'habitacle fut raccourci
par le milieu, juste sur l'arrière des portières avant.
La paroi arrière ainsi récupérée, fut alors
découpée à la bonne longueur et ressoudée
à la partie avant, de manière à obtenir une très
jolie cabine à deux portes.
La dernière version de la C4 est apparue au salon de 1931. La C4
G qui nous concerne, dispose d'un moteur de 1767 cm3 développant
32 CV à 2700 tours/min lui permettant d'atteindre une vitesse de
90 km/h,
Les schémas ci dessous montrent très clairement les aspects
avant et après transformation, de notre C4. Le lecteur doit savoir
que ce modèle CITROEN C4 avait été quelques années
auparavant, équipée d'une chenillette à l'arrière,
la grande vedette de la "Croisière Jaune" en Chine en
1931 et 1932.

La remise en état
de la mécanique fut tout à fait classique pour l'époque
: réfection de l'embrayage, remise en état des freins, de
la suspension, pose de segments et de soupapes neufs. Puis, remontage
de la culasse et un bon rodage de soupapes. Avant l'assemblage final,
des essais étaient nécessaires. Mémorables ces essais.
Pour tester toutes les fonctions principales, ils consistaient à
piloter l'engin, assis sur une planche boulonnée au châssis,
en descendant sur la route des "Petites Surs des Pauvres"
et de "Beau Fraisier". Le remontage n'a pu commencer qu'après
avoir constaté que tout fonctionnait parfaitement : remise en place
de la cabine, du capot, de tout le système électrique de
confort
Le "garage", c'était ma cour de récréation,
le jeudi, après le déjeuner. Une mine incroyable d'objets
curieux de toutes sortes : roues, outils, pièces de moteur, pots
de peinture
Je passais là quelques heures à nettoyer
à l'essence les pièces mécaniques de la C4, à
gratter, frotter, poncer le châssis avant de le badigeonner au minium.
Quelques semaines supplémentaires furent encore nécessaires
pour confectionner le plateau qui est venu précisément et
presque automatiquement se positionner derrière la cabine de la
C4 devenue camionnette. Le "Pick-up One" était presque
prêt. Après les indispensables opérations de finition
et la dernière couche de peinture, la première voiture des
"Mercadal" à La Bouzaréah a pu traverser le village
sous l'il curieux et aussi admiratif des badauds.
Ce n'était pas la voiture de tout le monde, mais elle avait brillamment
réussi son examen de passage devant le Service des Mines. L'été
approchait et un test plus sérieux était maintenant indispensable.
La première occasion fut la bonne.
Comme souvent, dans nos villages, un groupe de copains, que des hommes
évidemment, s'était installé dans une ferme abandonnée
à Francis-Garnier, loin après Cherchell, à environ
200 km d'Alger, pour passer une semaine à pêcher depuis la
côte, dans une Mer Méditérrannée extrêmement
poissonneuse dans cette région. L'histoire de ces pêcheurs
mérite un petit paragraphe.
Faisaient partie de l'expédition : René Ségui, les
frères Miano, Vincent Pascal, François Arbona, Joseph Ségui.
Amenés là par le toujours très dévoué
François Arbona, qui avec son gros camion Berliet, avait transporté
un colossal volume de matériel , le groupe des six pêcheurs
était en place depuis quelques jours, quand, invité par
ses copains, mon père décida de les rejoindre au volant
de son "Pick-up One" flambant neuf. 200 km, ce n'était,
pas à l'époque, une petite affaire. Quand je pense que pour
aller à Sidi-Ferruch distant de 21 km, c'était déjà
une expédition !
Le matin suivant, très tôt à la pointe du jour, nous
voilà donc, mon père au volant et moi sur le siège
passager, sur la route vers l'ouest
Tout se déroulait parfaitement
bien, le moteur ronronnait régulièrement... ça roulait,
roulait, roulait...
Chéragas, Staouéli, Zéralda, Castiglione,Tipasa,
Cherchell et encore plus loin Gouraya... L'objectif était encore
à environ 40 km, quand brusquement, sur une route en forêt,
très sinueuse et évidemment déserte, le moteur bafouilla,
tressauta et s'arrêta. C'était la panne. Pas question évidemment
d'appeler au secours le garagiste du coin. Il n'y avait personne à
la ronde dans un rayon de 50 km. Sans s'affoler, comme si la chose était
prévue et banale, mon père tenta, d'un coup de démarreur,
de remettre en route le moteur qui accepta de repartir au ralenti. A la
moindre accélération il s'étouffa de nouveau et cala.
Mon père avait semble-t-il compris l'origine du problème.
Disposant, et c'était bien nécessaire, d'une caisse à
outils très complète et d'un grand nombre de pièces
détachées, il souleva le capot, nettoya rapidement quelques
composants de la chaîne d'allumage et surtout changea le condensateur,
ce petit composant électrique monté tout contre la bobine
d'allumage. Miracle ? Non je ne crois pas. Dès le premier coup
de démarreur le "Pick-up One" retrouva toute son énergie.
Nous voilà donc repartis, tranquilles et fiers comme deux papes.
Encore près d'une heure de route et, guidés par un plan
d'accès précis, nous avons enfin découvert la ferme
sur le coup de midi et demi. Quand je pense que notre voisin, le frère
de la boulangère, m'avait dit avant de partir, d'un ton sarcastique:"Ah!
Tu vas avec ton père à Francis-Garnier avec la C4 ! Tu es
très courageux, c'est bien; mais tu vas revenir avec des cheveux
blancs !". Pas de commentaire.
Après deux nuits passées au bord de la mer, dans cette vielle
ferme, à 10 mètres de la grande bleue, sur une côte
très rocheuse, admiratifs devant les exploits des pêcheurs
qui jours et nuits attrapaient oblades, congres, sars, mérous,
le moment de retourner chez nous à La Bouzaréahétait
arrivé.
Avec beaucoup moins d'appréhension qu'à l'aller, nous avons
parcouru les 200 km du trajet, en ne nous arrêtant qu'une fois pour
vérifier le niveau de l'eau de refroidissement et manger un gros
sandwich à la soubressade, bien sûr. Vers 16 heures devant
chez nous, plus fiers que si nous avions gagné le "Dakar",
satisfaits du bon fonctionnement du "pick-up One", la tête
pleine d'histoires à raconter, nous avons pu distribuer aux voisins
les deux douzaines de poissons que les pêcheurs de Francis-Garnier
avaient attrapés pour eux.
Cette voiture, nous ne l'avons pas gardée très longtemps.
Avec le développement du commerce et en particulier la mise en
place du dépôt-vente des bouteilles de gaz et de réchauds
de toutes sorte, il a fallu voir plus grand. Mon père a alors opté
pour l'achat, chez Renault, d'un fourgon 1000 kg, qui sera un peu plus
tard lui aussi, au cur de quelques récits savoureux. Notre
jolie et bien vielle C4 fit encore, je crois, le bonheur d'un cultivateur
de légumes et de salades, qui avait trouvé là, le
véhicule idéal pour aller s'installer tous les jours au
célèbre marché de Bab-el-Oued.
Au village, le "Pick-up One" rendait beaucoup de services ;
il était, comment dire, un peu en libre service. Il était
là pour emmener, à leur match, le dimanche, quelques footballeurs
de la SSB et, chaque année, joliment décoré, il transportait
pour leur traditionnelle virée, les conscrits de la commune (voir
la page "Quelques cérémonies"). Il a été
également très utile pour ramener de l'Alama, de la petite
ferme que dirigeait mon grand père Ségui, fruits, légumes
et vin rosé,
Pour les vacances, le camping "sauvage" était très
apprécié et la mission du "Pick-up One" était
de transporter les campeurs vers la plage du Figuier ou vers Sidi Ferruch.
Le matériel de camping, volumineux, encombrant, lourd, faisait
l'objet d'un voyage spécifique encore assuré par François
Arbona et son camion. La qualité des deux photos qui suivent n'est
pas très bonne, mais après plus de soixante années
passées dans un tiroir...

Avant de présenter
les campeurs, installés "Plage des Pêcheurs" à
Sidi Ferruch, il faut noter, sur la droite, la présence du "Pick-up
One",
De gauche à droite : assis devant : Michelle Ségui et son
frère René,
Assises au deuxième rang : ma mère, ma sur Camille,
Madame Galiana et sa fille.
Debout : Gilbert Ségui, Josette Roma, Francis Mercadal, ma grand
mère Françoise Ségui, mon oncle René Ségui,
et mes grands pères François Ségui et Raphaël
Mercadal.
Tous les hommes étaient pêcheurs, chacun avec sa spécialité.
Le grand père Mercadal, né sur l'île de Minorque en
1870, explorait tous les trous en longeant les parties rocheuses de la
côte, pour ramener dans un grand sac de jute, poulpes et murènes.
Le grand père Ségui, né à Bouzaréa
en 1879, pratiquait de façon classique, la pêche au coup.
Avec ses pieds de ligne, très sophistiqués, il assurait
tous les jours la friture. L'oncle René ne pêchait que la
nuit, car seuls les gros poissons très friands des crevettes roses
qu'il leurs offrait, l'intéressaient. De mon côté,
j'accompagnais les uns et les autres en fonction de mes occupations, mais
ma spécialité était la pêche au "bouchon
marseillais", le "rusquet" pour les experts. J'avais adapté
cette technique aux caractéristiques de notre plage et équipé
d'un masque d'un tuba, je passais des journées entières
à piéger les mulets nombreux dans ce coin.

En arrière
plan toujours le "Pick-up One" et dans le coin, à gauche,
ma grand mère Françoise Ségui née Barcelo,
née à El Achour (Dély-Ibrahim) en 1876, véritable
chef du camp et devant, ma cousine Michelle Ségui, ma jeune sur
Paule et mon cousin René Ségui qui présentent la
pêche de la dernière nuit.
Incroyable
retour d'expérience ou "de Bouzaréah à New York"
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C'est à peine
imaginable, mais c'est une histoire vraie...Les années ont passé,
nous sommes, depuis 1963, installés à Saint-Médard
en Jalles où je me suis spécialisé dans les études,
le développement et la production des propergols solides pour missiles,
roquettes et lanceurs civils. Holà ! nous voilà, semble
t-il bien loin de la C4... Mais...
C'est juin 1982, 35 ans après l'aventure de la C4 en Algérie,
en mission aux USA avec deux jeunes collègues, en vue de régler
un problème technique rencontré au cours d'une production
sous licence, nous avons le samedi, terminé notre séjour
à New York par la visite du "World Trade Center". Après
une dernière nuit dans Manhattan, nous voilà donc le dimanche
matin dans le gros break de location , roulant tranquillement sur les
quais de New York, en direction de Long Island pour déjeuner avant
de rejoindre Kennedy Airport. Nous sommes largement dans les temps, puisque
le décollage n'est prévu qu'en milieu d'après midi.
Brusquement, notre énorme américaine décide de s'arrêter.
C'est la panne. Nous voilà bloqués dans un quartier plutôt
désert. On approche de midi, Sans grand espoir, car tout est fermé,
mes deux collègues partent, au hasard, tenter de trouver un mécano
ou un agent Hertz.. Seul dans la voiture, gardien de toutes nos affaires
entassées dans le break, j'ai tout le temps de réfléchir.
Après plusieurs tentatives de mise en route, l'énorme moteur
démarre, mais dès 1500 tours, il s'étouffe et s'arrête,
C'est à ce moment précis, que dans un recoin de mon cerveau,
se produit un flash : le CONDENSATEUR ! Il faut tenter quelque
chose... Mes collègues sont partis depuis un bonne demi-heure.
Allons-y ! J'ouvre l'immense capot et là, dans la seconde qui suit,
sous mes yeux étonnés, je remarque le condensateur relié
par un fil noirci par la poussière, à une grosse bobine.
Deuxième flash, ce fil paraît, sur environ deux centimètres,
plus blanc et légèrement tordu. Tiens ! Tiens ! Ne serait-il
pas coupé ? Que faire ? Il fait chaud, j'enlève mon veston
et je pense soudainement à l'épingle que j'ai, en principe,
toujours piquée dans le revers du col de ma veste. Ouf ! Elle est
bien là. Tant pis, elle va finir sa vie en Amérique. Avec
beaucoup de soin, je la pique dans le sens de la longueur du fil reliant
le condensateur à la bobine, en m'appliquant à bien traverser
la zone blanchie de la gaine. Le suspense est maintenant à son
comble, mais sans hésiter, je m'installe au volant, tourne la clef
de contact et ! ! ! Ça ronronne. Timidement j'appuie sur la pédale
d' accélération. 2000, 3000, 4000 tours....Le problème
est réglé. Assez satisfait de mon dépannage, je vois
alors arriver mes deux camarades, et j'en rajoute un peu. Ils n'ont évidemment
pas trouvé l'aide espérée,
-Ne dites rien, ne bougez pas, regardez et écoutez.
Interloqués, ils restent figés alors que je m'installe au
volant pour effectuer une démonstration tout à fait convaincante.
La suite n'a pas beaucoup d'intérêt. Si, quand même,
en rendant la voiture chez Hertz, je leur ai signalé qu'il y avait
une épingle dans le fil du condensateur. Ou ils n'ont rien compris,
ou ils m'ont pris pour un débile. Le retour vers Paris s'est déroulé
sans problème. Je n'ai même pas été appelé
pour dépanner les moteurs du Jumbo747,

"L'engin..."
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