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LA CITÉ INDIGÈNE D'ASSISTANCE DE BENI-MESSOUS
Dans un précédent
article, nous avons parlé de luvre admirable réalisée
par le Bureau de bienfaisance européen de la Ville d'Alger dans
le but de secourir les orphelins européens. Afin de parer à
certaines critiques, formulées par des esprits chagrins; nous allons
montrer aujourd'hui avec quelle sollicitude sont traités les indigènes
miséreux et malades.
Il existe en effet, à Beni-Méssous, à quelques centaines
de mètres seulement de l'orphelinat, un établissement hospitalier
destiné aux vieillards indigènes.
Cette uvre n'est d'ailleurs pas une nouveauté et voici
ce que nous pouvions en dire il y a déjà quelques années,
alors que l'hospice n'était même plus un « dépôt
de mendicité », mais un domaine abandonné.
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Aujourd'hui tout ceci est heureusement changé et le vieux dépôt
de mendicité a été complètement restauré,
agrandi, embelli peur ne plus recevoir que de pauvres hères, tous
musulmans. Une infirmerie-hôpital de construction récente
y a même été adjointe pour atteindre au but le plus
louable qui se puisse poursuivre : soulager la misère des indigènes.
C'est là, en effet, que sont groupés tous les malades reconnus
incurables, venus des hôpitaux d'Alger. Seuls, les hommes y sont
admis, les femmes étant dirigées sur l'hospice de Marengo.
Dès l'entrée, on est heureusement surpris par la belle ordonnance
des lieux. La cour d'entrée est emplie de fleurs et les grands
murs blancs donnent une parfaite impression de netteté, de propreté.
A l'ombre des vieux ficus qui croissent dans la grande cour, les vieillards
se reposent, assis sur un long banc de pierre qui fut jadis un lavabo.
Leurs vêtements sont d'une propreté irréprochable
et leurs physionomies indiquent suffisamment qu'ils ne manquent de rien.
A la suite de M. Millet, directeur de l'Hospice indigène, nous
allons visiter les différentes parties de cet établissement
hospitalier.
La cuisine est la première installation vers laquelle nous dirigeons
nos pas. Sur une vaste cuisinière de nombreux plats exhalent un
fumet odorant.
« Il nous est possible, grâce à l'identité d'origine
de nos pensionnaires de préparer une nourriture susceptible d'être
servie à tous. Cela facilite la tâche du personnel ».
nous dit notre cicérone.
De beaux poissons, des plats de couscous sont là qui attendent
l'heure du déjeuner.
Au-dessus des cuisines, une vaste infirmerie est réservée
à ceux des pensionnaires qui sont atteints de maladies bénignes
et passagères. Un infirmier-chef indigène et plusieurs aides
sont la providence des pauvres hères que la Nature se plaît
à tyranniser. Des salles de pansements et de vastes dortoirs aérés
et clairs se succèdent. Dans ces derniers des lits tout blancs
sont méticuleusement rangés de chaque côté
des pièces dont le carrelage brille. Quelques vieillards y sont
étendus, portant, à la place de leur habituelle chéchia,
un bonnet de coton semblable à celui cher à nos paysans
Gascons. A notre approche, ils se soulèvent de leur couche et nous
saluent gentiment.
Éclairant ces faces émaciées par la douleur et les
privations, un regard de reconnaissance brille dans les yeux de chacun.
On conçoit, sans qu'il soit besoin de grands commentaires, le bonheur
de ces gueux qui ont trouvé là un paradis qui doit être
pour eux l'approchant le plus exact de celui promis aux sages par Allah.
Combien de ceux qui sont ici ont-ils précédemment joui d'un
tel confort ? Combien, parmi eux, ont-ils connu la douce fraîcheur
de draps bien blancs et la revigorante tiédeur d'épaisses
couvertures ? N'ont-ils pas plus souvent connu les courbatures dues à
des nuits et des nuits passées sur le pavé humide des quais
ou de quelque ruelle nauséabonde de la Casbah ?
Et puis, à côté du confort matériel, ils trouvent
encore le réconfort moral. Un apaisement est procuré à
leurs souffrances physiques en même temps que leur est donnée
la paix du coeur et de l'âme. Ils sont sans cesse entourés
de prévenances et, pour ces vieux arrivant au terme de leur pénible
existence, n'est-ce point là une porte ouverte sur la béatitude
éternelle ?
Plus loin, voici les dortoirs des vieillards valides, de ceux ,tout au
moins, qui ne sont atteints d'autre invalidité que celle que l'âge
confère à tous les êtres humains. La même ordonnance,
la même clarté règne en ces lieux et l'on ne peut
s'empêcher, à leur vue, de songer aux tristes et sombres
refuges où gîtent tant de malheureux dans nos villes et dans
nos bleds.
Parmi eux se trouvent quelques jeunes. Cette surprise n'en est plus une
lorsqu'on nous apprend que ce sont des indigènes victimes d'accidents
qui sont hébergés ici pendant la durée de leur convalescence.
Dans les cours, où nous redescendons maintenant, sur des bancs
ou bien sur les marches de quelques escaliers sont assis d'autres vieux.
Que de misères humaines sont soulagées ici. Voici des aveugles,
des idiots aux faciès torturés, des épileptiques
au regard fou, aux membres disloqués. Tous ces déchets humains
sont là, heureux de vivre, malgré l'horrible mal qui les
mine. Leurs vêtements sont propres et confortables et leur ventre
ne crie plus famine.
Notre visite se termine par le parcours de l'hôpital. Ce bâtiment
n'existait pas du temps du dépôt de mendicité. Tout
y est prévu pour soulager les misères physiques des malheureux
qui y trouvent gîte. Beaucoup d'amputés y sont réunis
qui attendent, dans les meilleures conditions, l'heure de leur guérison.
Une salle d'opération moderne, un laboratoire et une pharmacie
complètent cette installation. Un personnel, au dévouement
sans borne s'affaire de tous côtés et quelques convalescents
font leurs premiers pas dans les coquets jardins fleuris.
Ainsi donc il a été beaucoup fait pour les indigènes
à la cité d'assistance de Beni-Messous.
Cette uvre est sans doute l'une de celles dont la France peut, à
juste titre, être fière. Et il faut ajouter que si elle n'est
point la seule, elle est l'une des plus belles et des mieux comprises.
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