Une journée à l'École hôtelière de Ben-Aknoun
(Echo d'Alger du 1er octobre 1950)
Nouvelle page mise en ligne le 24 avril 2021
Retour

Une création qui honore la France et l’Algérie
Une journée à l’École hôtelière de Ben-Aknoun

Depuis vingt ans que. de l'Est à l’Ouest et du Nord au Midi. je pérégrine à travers l'Algérie, que de
fois ai-je entendu ce lamento : « Qu'attendent les Pouvoirs publics pour créer une école hôtelière, laquelle nous procurerait la main-d'œuvre qualifiée dont nous manquons ? ».
Ces desiderata sont aujourd'hui satisfaits. Aujourd'hui, enfin, l'école tant désirée parce que si nécessaire, est créée, et ce sont les impressions d'une visite que j’y fis que je vais rapporter.
Honneur aux promoteurs !
Bien que l’Écho d'Alger ait plusieurs fois déjà. intéressé ses lecteurs à cette réalisation d'une haute portée sociale, je veux rappeler que l'on doit la création du Centre de formation accélérée de l’industrie hôtelière de Ben-Aknoun à la Fédération algérienne des hôteliers, restaurateurs et limonadiers, et à l’appui tout-puissant et décisif, qu'elle eut la chance de trouver auprès de la Caisse de compensation des allocations familiales du département d'Alger, laquelle a procuré à la Fédération les locaux, les installations et fourni les avances financières nécessaires. Et l’équité exige que l'on signale le dévouement plein de conscience et de cœur dont furent prodigues en cette occasion MM. Gaston Eloche, président de la Fédération et MM. Dumény et Michel Baroli, les deux vice-présidents, sans omettre MM. Bayle, membre du bureau directeur de la Fédération qui fut le rapporteur du projet devant la Fédération et l'un de ses artisans les plus déterminés.
La visite des lieux
Reçu par M. Langlais, directeur des cours de formation professionnelle, et par M. Despins, directeur du C.P.V., je fus l’hôte, un jour entier. de l'école hôtelière, ce qui m'a permis d’en voir et d’en admirer longuement et dans tous ses détails la perfection technique.
Les cuisines d’abord, dont les installations électriques dernier modèle sont certainement uniques dans toute l'Afrique du Nord. Là, autour d'une marmite pleine à ras bord de couscous, s'affaire un essaim de jeunes gens en bonnet blanc, la serviette en fichu, attentifs aux conseils et aux démonstrations du chef, tandis que d'autres préparent la pâte d'une pâtisserie qui sera notre dessert. Ce qui frappe dans cette vaste cuisine largement aérée, c'est l'ordre et la propreté, la netteté du local et la tenue des élèves, dont deux, un pâtissier et un cuisinier, soucieux apparemment de perpétuer la tradition, ont déjà l'embonpoint de tout Vatel digne de ce titre. Et l'un et l'autre ont dix-sept ans !
Après les cuisines, les dortoirs, aux couchettes superposées, aux placards individuels et lavabos et douches attenant. Tout cela, bien entendu. d'une propreté exemplaire qui rappelle celle des navires.
Enfin, le réfectoire : un immense vaisseau dont la façade, entièrement vitrée, s’ouvre tout entière
par un système ingénieux de coulisses sur les jardins fleuris, les frondaisons des pins et la libre lumière - et qui contient cinq cents couverts.
Les dalles luisantes du parquet, les murs ripolinés, les tables individuelles revêtues de balatum, matière plastique qui permet de les maintenir en état constant de propreté, et le soir, l’éclairage au néon, font de cette salle à manger, où l'esthétique et l’utilité se conjuguent. se adaptent et s'harmonisent, une réussite grandiose. Je n'oublie pas le bar, qui sert des rafraîchissements et vend des cigarettes sans prélever de bénéfice.
Tous ces avantages et tous ces agréments - pour ne rien dire. faute de place, de ceux des pavillons et du parc de vingt hectares ou ils s’érigent et s’éparpillent - permettent de mesurer le bienfait social et humain que représente cette création jumelée et complémentaire : l'école hôtelière et le centre familial de vacances.
Les conditions d'admission des élèves
Désirant limiter mon enquête à l'école hôtelière, j’ai voulu connaître les conditions exigées pour l’admission des élèves. Les voici : a) avoir dix-sept ans au moins et vingt-cinq ans au plus ; b) être titulaire du certificat d’études primaires ; c) satisfaire à un examen psychotechnique et à une visite
médicale. C’est tout. Pas de préférence ni de privilège. C’est ainsi qu’actuellement, l’école compte vingt élèves musulmans et vingt-six Européens, dont deux israélites.
L'enseignement technique
Au cours du stage d'une année. on enseigne aux élèves le service de table, la cuisine, la pâtisserie, le secrétariat et l’anglais. Ils ont une journée de congé par semaine et perçoivent un traitement ou une indemnité mensuelle de 8.000 francs. moins une retenue de 2.500 francs pour la nourriture et de 500 francs pour leurs vêtements de travail qui restent leur propriété.
Et M. Langlais, directeur des cours professionnels, se déclare très satisfait et de leurs aptitudes naturelles, et de leur application.
Quant à la tenue et à l'état des esprits, ils sont irréprochables. Jamais « d'histoires », jamais de zizanies ! La sympathie et la confiance unifient tous les cœurs, et depuis l’ouverture de l'école, un seul renvoi a dû être effectué.
Le but et l’ambition de l'école
Certes, malgré la bonne volonté des élèves et de leurs éducateurs. l'école n’a pas la présomption, en une année seulement, de faire des chefs de cuisine. ni des chefs de rangs, ce que les écoles de la métropole mettent trois ans à réaliser.
Ni son but ni son ambition ne sont là. Elles sont de sélectionner les jeunes gens qui se confient à
elle et de déceler ou de provoquer les vocations hôtelières. Puis, l'année de stage écoulée, elle place, sans leur retirer sa tutelle, ses meilleurs sujets dans des établissements de bonne tenue où s’achève leur apprentissage.
Ainsi, bien dirigés dès l’origine, bien partis, il est juste d’espérer que leur carrière sera heureuse.
- Notez-le bien, m'ont déclaré à l'unisson tous les promoteurs de cette institution que j'ai pu consulter, notamment M. Victor Prouteau, directeur de l’Ofalac. auquel est confiée l’orientation du tourisme algérien, ce à quoi tend le centre de formation professionnelle accélérée, qui est assimilable à un cours de préapprentissage, ce n'est pas de produire des directeurs de casinos ni de palaces, mais un personnel subalterne de valeur et de mérite. grâce auquel notre industrie hôtelière croîtra en qualité et accroîtra le prestige de l’Algérie et de la France.
Et moi qui, au cours de mes déplacements, ai tant de fois entendu des touristes se plaindre d’être servis à table par un garçon aux ongles noirs. a la barbe pas faite, à la mine renfrognée et de plus in
capable de découper un mets, j'exulte à la pensée que demain, grâce aux jeunes brigades formées par l’école de Ben-Aknoun, ces doléances, si souvent motivées, auront fait place à des louanges.