"LES VILLAGES ALGERIENS - DELY IBRAHIM"
Article paru dans l'Afrique du Nord Illustrée du 4 février 1928 (trouvé sur https://gallica.bnf.fr)
Nouvelle page mise en ligne le 25 novembre 2020
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LES VILLAGES ALGÉRIENS
DELY-IBRAHIM

Malgré le mauvais renom qu'avaient acquis au-delà des mers les premiers essais de colonisation algérienne, le courant d'immigration s'accentua dès les premières années qui suivirent la conquête.
En 1831, quelques centaines d'émigrants de diverses races, qui se trouvaient entassés dans les baraquements établis près du port d'Alger, réclamaient avec insistance des lots de jardins.
Le Duc de Rovigo qui commandait alors les troupes d'occupation, en regrettant qu'on eut attribué aux jardiniers mahonais des terres dans la ceinture d'Alger, pria le Baron Pichon, intendant civil, d'octroyer aux futurs colons qui attendaient sur le port d'Alger, deux arpents de terre (environ un hectare) « dans les gorges et les montagnes » des environs d'Alger.
Le Duc de Rovigo, à qui le Baron Pichon répondit que pas un lopin de terre aux environs d'Alger n'appartenait au domaine, ne s'embarrassa pas pour si peu. Il décida que le premier essai de colonisation officielle, par l'élément européen, devait être fait près des deux camps retranchés de Dély-Ibrahim et de Kouba.
Le gouvernement français dirigea alors sur l'Algérie plus de 500 émigrants allemands. Rovigo donna l'ordre de placer immédiatement 50 familles de ces nouveaux débarqués à Dély-Ibrahim et vingt-trois autres familles à Kouba.
Les allemands furent installés dans les deux villages aux frais du Trésor. Et tandis que l'Administration française versait des secours en argent et en vivres à ces émigrants et aux Mahonais, M. Amanton, directeur de la Colonisation, faisait prévenir les sujets français qui désiraient se rendre en Afrique pour y coloniser : qu'ils ne seraient reçus que s'ils fournissaient la preuve qu ils avaient au moins les moyens de pourvoir à leur besoin pendant un an, l'Administration n'ayant à sa disposition des secours ni en argent ni en vivres ».
Ainsi l’œuvre de colonisation française commençait de façon paradoxale.
En 1832, Clauzel succéda à Rovigo gravement malade, et l'intendant civil Genty de Bussy remplaça le Baron Pichon. Il fut alors décrété qu'une somme de 30.000 francs serait affectée aux dépenses extraordinaires de la colonisation en Afrique.
Le camp retranché de Dély-Ibrahim était situé à 10 kilomètres d'Alger, sur un chemin de crête du Sahel, et à une altitude de 250 mètres. Au Nord une succession de mamelons couverts de hautes broussailles et coupés de profonds ravins ; au Sud même aspect désertique, même terrain inculte séparant le camp de la plaine de la Mitidja.
M, Emile Violard, dans sa remarquable étude des villages algériens, nous apprend d'autre part que les lots qui furent attribués aux allemands de Dély-lbrahim variaient de 1 à 3 hectares par tête, et il est facile de comprendre que, dans des conditions aussi défavorables, le centre était fatalement voué à un statu quo désespérant. Tout accroissement de population devenait, par suite, impossible, les enfants ne pouvant s'établir sur le territoire déjà trop restreint occupé par les parents. Se basant sur ce fait, les néo-colons demandèrent à la Commission de Colonisation de leur distribuer en partage 53 hectares de bonnes terres défrichées et complantées en arbres fruitiers, que le général Schramm avait fait concéder n en récompense de ses bons offices », à certain Mazères, que l'Administration avait désigné comme maire de Dély-lbrahim. La pétition que les colons adressèrent à ce propos disait que Mazères ne cultivait pas lui-même sa concession, qu'il la louait à des jardiniers, et que cette propriété renfermait plusieurs sources d'eau excellente, alors que les habitants du village étaient condamnés, pendant cinq mois de l'année, à aller chercher l'eau potable, indispensable à l'alimentation, au lieu dit Ben-Aknoun, situé à 3 kilomètres.
Ces malheureux étaient dénués de tout : l'Administration les avait logés dans des baraques en bois, tout à fait inconfortables, dans lesquelles ils suffoquaient pendant l'été, et où, à cause de la mauvaise qualité du bois, l'eau pénétrait par toutes les fissures pendant l'hiver. La mort fit des coupes sombres dans les rangs de ces gens du Nord brusquement transplantés sous un climat très différent de celui sous lequel ils avaient grandi. Nombreux aussi furent ceux qui, trouvant plus avantageux de faire des charrois pour l'armée ou de vendre des boissons, quittèrent le pays.
En 1835, Dély-Ibrahim comptait beaucoup d'orphelins, qui restaient à la merci de la charité publique. C'est pourquoi l'Administration créa un orphelinat protestant sur la ferme Mazères, et les colons, qui ne pouvaient plus, de ce fait, réclamer ces terrains, reçurent en échange 107 hectares situés aux alentours du village.
Mais cette attribution mit le feu aux poudres. Auprès de ces terrains, qui dépendaient, ou étaient présumés dépendre du Beylik, en existaient d'autres, incultes, qui appartenaient aux indigènes. Les colons, sans autre forme de procès, s'en emparèrent et les ensemencèrent de céréales.
Les Arabes, naturellement, protestèrent. Ils ne furent pas écoutés. Mais, quand la récolte fut à maturité et que les colons voyaient déjà les gerbes d’or dans leur grenier, les indigènes, en nombre, vinrent pendant la nuit, et, au clair de lune, moissonnèrent les blés et les orges. Alors, les habitants de Dély-Ibrahim décrochèrent leurs fusils. Une bataille rangée éclata, qui laissa sur le sol des morts et des blessés.
Le Conseil des Ministres, mis au courant de l'incident, ordonna à l'intendant civil Genty de Bussy de procéder à une enquête, qui prouva que les colons étaient entièrement dans leurs torts. Toutefois, on décida « qu'ils resteraient possesseurs des terrains » qu'ils avaient indûment occupés, et qu'en dédommagement du préjudice causé aux indigènes, ceux-ci recevraient une somme d'argent (50 francs par hectare) et des terrains de culture situés à quelque distance du village.
Les municipalités qui se sont succédé à Dély-lbrahim en ces dernières années ont, malgré les difficultés de toute nature qu'il leur a fallu surmonter, fait de ce centre un village très agréable.
La municipalité de Dély-Ibrahim tend tous ses efforts à faire de ce petit centre qui avoisine Alger (10 kil) et qui se trouve à 250 mètres d'altitude, un village d'agrément où, le dimanche, les citadins pourraient venir respirer à pleins poumons l'air de la campagne.
Le bois résineux des Cars qui domine le village a été pourvu d'allées et décoré de bustes ou statues qui donneraient l'impression d'un jardin public s'il était situé près d'une ville.
Pendant les chaleurs, la brise de mer se fait heureusement sentir et ferait de ce pays, dont les eaux sont abondantes et saines, une station estivale remarquable qui serait très utile aux citadins en quête d'un peu de fraîcheur, si les réformes nécessaires étaient accomplies. Tout d'abord, le village devrait être relié à Alger par le tramway du Sahel, dont le terminus est actuellement fixé au petit Lycée de Ben-Aknoun. Il suffirait, pour cela, de prolonger de 3 kilomètres la voie du tramway sur l'accotement de la route de Douéra qui traverse le village.
La dépense serait modique : le même matériel et le même personnel venant au point de Ben-Aknoun (terminus actuel) seraient utilisés et suffisants.
Les cultures que l'on rencontre dans toutes les fermes sont : la vigne qui produit un bon vin de coteau faisant en moyenne 13° ; les primeurs (et en particulier la pomme de terre) et les céréales.
Une Coopérative de Battage et de Bottelage réunit un certain nombre de colons de Dély-Ibrahim et des centres avoisinants.
Principaux colons : Boyer (Ernest), 63 hectares de vignes ; Richard (Mme veuve) ; Jules Ricome (gérant : M. Dertié), 180 hectares de vignes ; Roth (Ferdinand), 36 hectares de vignes ; Schneider (Frédéric).