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LES
VILLAGES ALGÉRIENS
DELY-IBRAHIM
Malgré le
mauvais renom qu'avaient acquis au-delà des mers les premiers essais
de colonisation algérienne, le courant d'immigration s'accentua
dès les premières années qui suivirent la conquête.
En 1831, quelques centaines d'émigrants de diverses races, qui
se trouvaient entassés dans les baraquements établis près
du port d'Alger, réclamaient avec insistance des lots de jardins.
Le Duc de Rovigo qui commandait alors les troupes d'occupation, en regrettant
qu'on eut attribué aux jardiniers mahonais des terres dans la ceinture
d'Alger, pria le Baron Pichon, intendant civil, d'octroyer aux futurs
colons qui attendaient sur le port d'Alger, deux arpents de terre (environ
un hectare) « dans les gorges et les montagnes » des environs
d'Alger.
Le Duc de Rovigo, à qui le Baron Pichon répondit que pas
un lopin de terre aux environs d'Alger n'appartenait au domaine, ne s'embarrassa
pas pour si peu. Il décida que le premier essai de colonisation
officielle, par l'élément européen, devait être
fait près des deux camps retranchés de Dély-Ibrahim
et de Kouba.
Le gouvernement français dirigea alors sur l'Algérie plus
de 500 émigrants allemands. Rovigo donna l'ordre de placer immédiatement
50 familles de ces nouveaux débarqués à Dély-Ibrahim
et vingt-trois autres familles à Kouba.
Les allemands furent installés dans les deux villages aux frais
du Trésor. Et tandis que l'Administration française versait
des secours en argent et en vivres à ces émigrants et aux
Mahonais, M. Amanton, directeur de la Colonisation, faisait prévenir
les sujets français qui désiraient se rendre en Afrique
pour y coloniser : qu'ils ne seraient reçus que s'ils fournissaient
la preuve qu ils avaient au moins les moyens de pourvoir à leur
besoin pendant un an, l'Administration n'ayant à sa disposition
des secours ni en argent ni en vivres ».
Ainsi luvre de colonisation française commençait
de façon paradoxale.
En 1832, Clauzel succéda à Rovigo gravement malade, et l'intendant
civil Genty de Bussy remplaça le Baron Pichon. Il fut alors décrété
qu'une somme de 30.000 francs serait affectée aux dépenses
extraordinaires de la colonisation en Afrique.
Le camp retranché de Dély-Ibrahim était situé
à 10 kilomètres d'Alger, sur un chemin de crête du
Sahel, et à une altitude de 250 mètres. Au Nord une succession
de mamelons couverts de hautes broussailles et coupés de profonds
ravins ; au Sud même aspect désertique, même terrain
inculte séparant le camp de la plaine de la Mitidja.
M, Emile Violard, dans sa remarquable étude des villages algériens,
nous apprend d'autre part que les lots qui furent attribués aux
allemands de Dély-lbrahim variaient de 1 à 3 hectares par
tête, et il est facile de comprendre que, dans des conditions aussi
défavorables, le centre était fatalement voué à
un statu quo désespérant. Tout accroissement de population
devenait, par suite, impossible, les enfants ne pouvant s'établir
sur le territoire déjà trop restreint occupé par
les parents. Se basant sur ce fait, les néo-colons demandèrent
à la Commission de Colonisation de leur distribuer en partage 53
hectares de bonnes terres défrichées et complantées
en arbres fruitiers, que le général Schramm avait fait concéder
n en récompense de ses bons offices », à certain Mazères,
que l'Administration avait désigné comme maire de Dély-lbrahim.
La pétition que les colons adressèrent à ce propos
disait que Mazères ne cultivait pas lui-même sa concession,
qu'il la louait à des jardiniers, et que cette propriété
renfermait plusieurs sources d'eau excellente, alors que les habitants
du village étaient condamnés, pendant cinq mois de l'année,
à aller chercher l'eau potable, indispensable à l'alimentation,
au lieu dit Ben-Aknoun, situé à 3 kilomètres.
Ces malheureux étaient dénués de tout : l'Administration
les avait logés dans des baraques en bois, tout à fait inconfortables,
dans lesquelles ils suffoquaient pendant l'été, et où,
à cause de la mauvaise qualité du bois, l'eau pénétrait
par toutes les fissures pendant l'hiver. La mort fit des coupes sombres
dans les rangs de ces gens du Nord brusquement transplantés sous
un climat très différent de celui sous lequel ils avaient
grandi. Nombreux aussi furent ceux qui, trouvant plus avantageux de faire
des charrois pour l'armée ou de vendre des boissons, quittèrent
le pays.
En 1835, Dély-Ibrahim comptait beaucoup d'orphelins, qui restaient
à la merci de la charité publique. C'est pourquoi l'Administration
créa un orphelinat protestant sur la ferme Mazères, et les
colons, qui ne pouvaient plus, de ce fait, réclamer ces terrains,
reçurent en échange 107 hectares situés aux alentours
du village.
Mais cette attribution mit le feu aux poudres. Auprès de ces terrains,
qui dépendaient, ou étaient présumés dépendre
du Beylik, en existaient d'autres, incultes, qui appartenaient aux indigènes.
Les colons, sans autre forme de procès, s'en emparèrent
et les ensemencèrent de céréales.
Les Arabes, naturellement, protestèrent. Ils ne furent pas écoutés.
Mais, quand la récolte fut à maturité et que les
colons voyaient déjà les gerbes dor dans leur grenier,
les indigènes, en nombre, vinrent pendant la nuit, et, au clair
de lune, moissonnèrent les blés et les orges. Alors, les
habitants de Dély-Ibrahim décrochèrent leurs fusils.
Une bataille rangée éclata, qui laissa sur le sol des morts
et des blessés.
Le Conseil des Ministres, mis au courant de l'incident, ordonna à
l'intendant civil Genty de Bussy de procéder à une enquête,
qui prouva que les colons étaient entièrement dans leurs
torts. Toutefois, on décida « qu'ils resteraient possesseurs
des terrains » qu'ils avaient indûment occupés, et
qu'en dédommagement du préjudice causé aux indigènes,
ceux-ci recevraient une somme d'argent (50 francs par hectare) et des
terrains de culture situés à quelque distance du village.
Les municipalités qui se sont succédé à Dély-lbrahim
en ces dernières années ont, malgré les difficultés
de toute nature qu'il leur a fallu surmonter, fait de ce centre un village
très agréable.
La municipalité de Dély-Ibrahim tend tous ses efforts à
faire de ce petit centre qui avoisine Alger (10 kil) et qui se trouve
à 250 mètres d'altitude, un village d'agrément où,
le dimanche, les citadins pourraient venir respirer à pleins poumons
l'air de la campagne.
Le bois résineux des Cars qui domine le village a été
pourvu d'allées et décoré de bustes ou statues qui
donneraient l'impression d'un jardin public s'il était situé
près d'une ville.
Pendant les chaleurs, la brise de mer se fait heureusement sentir et ferait
de ce pays, dont les eaux sont abondantes et saines, une station estivale
remarquable qui serait très utile aux citadins en quête d'un
peu de fraîcheur, si les réformes nécessaires étaient
accomplies. Tout d'abord, le village devrait être relié à
Alger par le tramway du Sahel, dont le terminus est actuellement fixé
au petit Lycée de Ben-Aknoun. Il suffirait, pour cela, de prolonger
de 3 kilomètres la voie du tramway sur l'accotement de la route
de Douéra qui traverse le village.
La dépense serait modique : le même matériel et le
même personnel venant au point de Ben-Aknoun (terminus actuel) seraient
utilisés et suffisants.
Les cultures que l'on rencontre dans toutes les fermes sont : la vigne
qui produit un bon vin de coteau faisant en moyenne 13° ; les primeurs
(et en particulier la pomme de terre) et les céréales.
Une Coopérative de Battage et de Bottelage réunit un certain
nombre de colons de Dély-Ibrahim et des centres avoisinants.
Principaux colons : Boyer (Ernest), 63 hectares de vignes ; Richard (Mme
veuve) ; Jules Ricome (gérant : M. Dertié), 180 hectares
de vignes ; Roth (Ferdinand), 36 hectares de vignes ; Schneider (Frédéric).
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