Un geste
On a
beaucoup écrit sur les sympathies dont les échanges se font
plus vifs entre Indigènes et Français, à mesure que
les masses se pénètrent et que les esprits s'ouvrent aux
bienfaits des réalisations.
Mais ces affirmations ont-elles force d'axiome ?
Cette preuve magnifique, ce témoignage d'une grandeur sans exemple,
j'ai quelque fierté à l'apporter ici.
Tous ceux que les hasards d'une promenade ont conduits vers El-Biar, connaissent
très bien la villa où le Général Comte de
Bourmont avait établi son quartier général en 1830.
C'est dans cette villa que le 5 juillet 1830, fut signé par le
Dey d'Alger, Hussein, la convention rédigée par le Général
en chef des troupes françaises. Cette convention nous livrait les
forts et les clés de la ville.
On saisit l'importance historique de cette villa et ce qu'elle devrait
représenter aux yeux des indigènes, si pour eux l'occupation
française était considérée comme un événement
néfaste et de triste mémoire.
Eh bien, écoutez ceci : Le Bach-Agha Benchiha ayant appris que
cette villa était à vendre et que le Consul d'Allemagne
était sur le point de l'acheter, a immédiatement acquis
cette propriété, dont il n'avait nul besoin et l'a offerte
au Commissariat Général du Centenaire pour y loger nos visiteurs
de marque, pendant les fêtes de 1930.
J'hésite à commenter ce geste, car il paraît suggestif
dans sa simplicité, il souligne avec une telle autorité
tout ce qui a été dit sur le rôle que la France a
voulu jouer en Algérie, qu'un adjectif en surchargerait inutilement
la beauté.
Je sais que M. le Gouverneur Général a chaudement félicité
ce Bach-Agha. Mais M. Bordes n'est-il pas un peu dans ce geste ? Si la
France est aimée, n'a-t-il pas aidé à restituer à
notre patrie son vrai visage dans le jugement des Indigènes ?
Il est un peu dans ce geste comme le sont tous ceux qui, par de belles
actions, de petites réformes, les mille riens de la vie quotidienne
ont prouvé dans tous les domaines, les plus élevés
et les plus humbles, que partout où elle s'installe, la France
relève, libère, éclaire, réchauffe, restitue
le prestige perdu et la dignité émoussée,
A tous ceux qui en douteraient encore, à tous ceux qui tendaient
une oreille trop attentive aux racontars des Zoïles, le geste du
Bach-Agha impose la vérité.
Voilà ce que peut la France !
A ceux qui viendront, il ne suffira pas de dire : « Luvre
de la France en Algérie fut toute d'amour et de civilisation »,
il faudra montrer cette villa. Et les guides pourront affirmer : « Le
5 juillet 1830, le Dey Hussein, qui représentait le pouvoir sanguinaire
et l'oppression honteuse se rendait au Général Comte de
Bourmont. La reddition fut signée ici. La convention française
portait « L'exercice de la Religion Mahométane restera
libre. La liberté des habitants de toutes les classes, leur religion,
leur commerce et leur industrie ne recevront aucune atteinte, leurs femmes
seront respectées. Le Général en Chef en prend l'engagement
d'honneur ».
Voilà ce que nous apportions aux indigènes molestés,
humiliés, pressurés par les Turcs. Et ces promesses n'étaient
pas une feinte d'homme de guerre, habiles à circonvenir ses adversaires.
La preuve ? Cent ans plus tard un Bach-Agha rachetait cette villa où
se leva l'aurore d'une civilisation nouvelle et l'offrait en reconnaissance
à la France Généreuse.
Les Nations conquérantes ne connaissent pas le réconfort
de tels gestes.
Et maintenant osera-t-on encore nous dire que nous n'avons pas le droit
de commémorer 1930 ?
|
UNE VILLA HISTORIQUE
Bien qu'on ait beaucoup
écrit sur les incidents ayant précédé la conquête
dAlger, il n'est pas inutile, croyons-nous, de les rappeler à
nos lecteurs, en leur soumettant quelques-unes des différentes
versions qui ont été publiées à propos du
fameux coup d'éventail.
Suivant notre regretté confrère. M. Ch. Aumerat, qui était
certainement, de tous les vieux Algériens, l'un des mieux documentés
sur les événements de lépoque, il n'y eut pas
de voie de fait à l'égard de notre consul. Une discussion
assez vive s'était engagée entre le dey et M. Deval, et
quand ce dernier fit la réponse que l'on sait : « Que
le roi de France ne correspondait pas avec un dey d'Alger »,
celui-ci fit un geste de colère avec le bras qui tenait l'éventail
et prononça ces mots : « Roh ! Roumi ben el kelb ! »
qui signifient : « Sors, Chrétien, fils de chien ! »
On y prit à peine garde sur le moment.
Une version toute autre est celle de M. Henri Garrot. Celui-ci raconte
que le 30 avril 1827, la veille du Baïram, le consul général
de France étant allé féliciter le Dey fut reçu
au Palais de la Kasba. La langue turque étant familière
à M. Deval, le consul conversa avec le Dey, comme à l'ordinaire,
sans l'entremise de l'interprète. Après lui avoir adressé
ses félicitations, il l'entretint d'un navire récemment
capturé par les reis, sous pavillon français. Hussein l'interrompant,
lui reprocha les travaux de protection du bastion de La Calle, et lui
demanda, avec humeur, s'il n'avait pas reçu de réponse à
la lettre qu'il avait écrite, le 26 avril précédent,
au baron de Damas, l'accusant de lui cacher la réponse de son gouvernement
et de s'entendre avec les juifs pour le spolier. M. Deval avait été
jusque-là d'un calme parfait ; ce qui semblait augmenter l'exaspération
du Dey. Mais à cette attaque personnelle, le consul se départit
de sa retenue coutumière et fit, à son interlocuteur, la
réponse citée plus haut. A la riposte de notre consul, le
Dey, qui jouait avec un éventail, se leva, furieux, et, agitant
les bras, cria au consul : Sors ! roumi, fils de chien !sors !
Sors ! Dans son geste, le Dey avait effleuré le consul des
plumes de l'éventail qu'il serrait dans sa main.
Telles sont les deux versions, contraires sur un simple détail,
mais d'accord sur tous les autres points d'un grand fait historique. On
connaît les suites de l'incident qui provoquèrent l'expédition
de 1830, commandée par le comte de Bourmont.
Ce fut dans la villa, qui se nomme Djenan Raïs Hamidou, que fut installé,
en 1830, le quartier général du comte de Bourmont, et que
fut signé, le 5 juillet, le traité de la capitulation d'Alger
:
En voici les termes :
1° Le fort de la Casbah, tous les autres forts qui dépendent
d'Alger et les portes de la Ville seront ouverts aux troupes françaises,
ce matin, à 10 heures ;
2° Le Général de l'Armée française s'engage
envers Son Altesse le Dey d'Alger, de lui laisser la libre possession
de toutes ses richesses personnelles ;
3° Le Dey sera libre de se retirer avec sa famille et ses richesses,
dans le lieu qu'il fixera, et tant qu'il restera à Alger, il sera,
lui et sa famille, sous la protection du Général de l'Armée
française ;
4° Le Général en Chef assure à tous les membres
de la Milice, les mêmes avantages et la même protection ;
5° L'exercice de la religion mahométane restera libre. La liberté
de toutes les classes d'habitants, leur religion, leurs propriétés,
leur commerce et leur industrie ne recevront aucune atteinte. Leurs femmes
seront respectées. Le Général en Chef en prend l'engagement
sur l'honneur. L'échange de cette convention sera fait avant 10
heures.
Le même jour (le 5 juillet), l'Armée française fit
son entrée dans Alger par la Porte-Neuve, Bab ed-Djedid, et par
la porte d'Azoun où, trois siècles auparavant, lors du siège
de la ville par Charles-Quint, un Français, le chevalier Pons de
Balaguer. dit Savignac, vint planter sa dague en disant : « Nous
reviendrons ! »
A l'entrée de la Campagne du Traité, une plaque de marbre
a été placée, qui rappelle l'événement
de 1830.
En mars 1908, les membres du Comité du Vieil Alger ont visité
la Djenan Raïs Hamidou où, dans la salle de la Capitulation,
le souvenir fut évoqué de ce grand fait historique.
|