"Querelles
de Clochers"
ou
L'Église inachevée et les Kermesses
Air de France n'avait
jamais eu d'église ou de chapelle et l'édifice dédié
à l'exercice du culte catholique le plus proche se trouvait à
Bouzaréah, distant de près de 2 kilomètres, mais que
l'on pouvait atteindre relativement facilement, à une époque
où les automobiles particulières étaient rares, en
empruntant les trolleybus des C.F.R.A. après 4 ou 5 arrêts
: Lotissement Pascal, Air de France, École Normale, Deux Piliers,
Beausoleil (arrêt facultatif) et terminus à Bouzaréah
(Place Martinelli).
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Bouzaréah
; l'église sans clocher
(mais déjà avec la cloche) |
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Bouzaréah
: l'église et
le Monument aux Morts |
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C'est donc tout naturellement
que les habitants d'Air de France se rendaient régulièrement
le dimanche matin à la messe, célébrée en l'église
Saint-Louis de Bouzaréah par l'abbé Henri Suchet (qui assumait
aussi les fonctions d'aumônier militaire du camp de Béni-Messous),
messe basse à 7 heures et demi, grand-messe (parfois chantée
avec accompagnement d'harmonium) à 10 heures. Des artistes bénévoles
ayant souvent une excellente base musicale (au piano) prêtaient volontiers
leur concours pour l'agrément des cérémonies. Ainsi
l'harmonium fut tenu, entre autres, par Madame Adreit, la maman de Bernard
puis par Madame Mergny, la maman de Daniel et Michel, qui, malheureusement,
au cours d'une cérémonie fin 1959, fut prise d'un grave malaise
auquel elle ne devait survivre que quelques jours. A la tribune, l'harmonium
accompagnait aussi une petite chorale de chanteuses et de chanteurs amateurs
plus ou moins éclairés. Daniel Mergny, alors qu'il était
militaire dans l'Armée de l'Air, dirigea un temps cette chorale en
tenue d'aviateur ce qui lui valait d'être appelé "l'Amiral"
!
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Chur
et autel de l'église Saint Louis de Bouzaréah
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Pour ces mêmes
raisons de commodités, les jeunes recevaient, le jeudi matin, pendant
les 3 ans de catéchisme, leur instruction religieuse, dans cette
même église de Bouzaréah qui accueillait ainsi tout
naturellement les cérémonies de communion solennelle ainsi
que les baptêmes.
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Article
paru dans l'Echo d'Alger du 7 octobre1958 annonçant la reprise
des cours de catéchisme pour les élèves de Bouzaréah,
d'Air de France, du Parc de Miremont et de la cité de la Police |
Bouzaréah
: la Communion Solennelle
Cliquez sur la photo pour l'agrandir
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Bouzaréah
: Les Vêpres, le jour de la Communion Solennelle
Cliquez sur la photo pour l'agrandir
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Juin
1953 |
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Juin
1953 |
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Bouzaréah
(1956) :
La communion solennelle sur la dalle de la future église alors
en construction |
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Faute
d'organiste, l'abbé Suchet joue de l'harmonium. Au fond, Fernande
et Roger Rambert, Guy Sautet, Elise et Louis Ferrer (tous décédés
depuis) et au premier rang, dans le flou, mes cousines Ghislaine et
Geneviève Sautet |
Bouzaréah
(1957) : la Communion Solennelle
dans la future église en construction |
Bouzaréah (1960) : la
Communion Solennelle
dans la nouvelle église |
De même, les grandes cérémonies
religieuses catholiques (Noël, Pâques, Ascension, Pentecôte,
15 Août, Toussaint) avaient tout naturellement pour cadre l'église
Saint-Louis de Bouzaréah.
Dans la presse
locale, annonce du programme de la bénédiction des Rameaux
en l'église de Bouzaréah. Outre les fautes d'orthographe
sur Mozart (avec un "d" !), Bach (avec un "k"
!), on note la présence de Madame Adret
(sans le "i"), la maman de Bernard, qui accompagnait à
l'harmonium probablement le chant d'un Monsieur Delgal (du Conservatoire
de Paris !). |
Le dimanche des Rameaux revêtait
une importance toute particulière pour les enfants. En effet, ce
jour là, les parents allaient à la messe avec des rameaux
d'olivier que le prêtre bénissait à la fin de la cérémonie
mais la plupart des enfants avaient un équivalent bien plus alléchant,
acheté chez les pâtissiers-confiseurs (la boulangerie Torrès
en général). Il s'agissait d'un bâtonnet de bois ou
de roseau, masqué par un enroulement de papier doré ou argenté
et sur lequel étaient fixées, "en rameaux", 5 ou
6 tiges en fer au bout desquels étaient accrochées diverses
petites confiseries : oeuf, poule ou cloche en chocolat ou en sucre glacé,
petites bouteilles de chocolat remplies de "liqueur" (rhum, kirsch,
cherry, etc...) et paquets de petits oeufs en sucre également remplis
de "liqueur". A l'extrémité supérieure du
rameau une belle orange confite était placée sur un crochet
qui permettait de suspendre le rameau, le plus souvent sur une des branches
d'un lustre pour éviter que les friandises ne se cassent mais surtout
pour les mettre hors de portée des enfants qui n'auraient pas pu
résister très longuement à l'attrait de ces délices
offertes à leur gourmandise. Il faut dire que la messe des Rameaux
représentait un véritable supplice de Tantale et il n'était
pas rare de voir quelques bambins essayer de lécher les chocolats
qui étaient à leur portées, si leurs parents n'avaient
pas pris la sage précaution de les emballer dans du papier cellophane.
Il restait néanmoins un danger qui se produisait régulièrement
chaque année : sous l'influence des mouvements répétés
de caresse des doigts ou des lèvres, il était habituel, qu'avant
la fin de la cérémonie et la bénédiction des
rameaux, un des sacs en cellophane contenant les petits oeufs en sucre à
la "liqueur"s'ouvre brutalement et que les petits oeufs se répandent
sur le sol de l'église avec un bruit de crécelle rompant le
silence "religieux" de la cérémonie. Tous se souviennent
du regard courroucé de l'Abbé Suchet cherchant à identifier
le responsable de cet accroc dans la liturgie !
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Les
Rameaux : Mauricette Olivès et sa cousine Brigitte posent (avant
la messe ?) devant la pharmacie Tillot et le garage Torrès
(au fond, l'entrepôt Poisot) |
Le problème se
posait pour les mariages et pour les enterrements car administrativement,
Air de France dépendant de la commune de Dély Ibrahim, les
habitants d'Air de France étaient ainsi placés dans une position
quelque peu schizophrénique. Pour les enterrements, il existait une
solution de contournement : les familles avaient déjà, pour
la plupart, des concessions, soit au grand cimetière de la Ville
d'Alger à Saint-Eugène, soit au petit cimetière de
Bouzaréah, sur la route du Village Céleste et, après
l'absoute, le curé de la paroisse à laquelle était
rattaché le cimetière, se devait de conduire, accompagné
de ses enfants de chur en surplis noir, le convoi funéraire
jusqu'au lieu de sépulture pour une ultime bénédiction.
Par contre, pour les mariages, la cérémonie civile devait
se dérouler soit à la Mairie de Dély Ibrahim, soit
à la petite mairie annexe située en face de l'épicerie
"Au Bon Accueil" et il fallait déployer des prodiges de
diplomatie pour ne pas heurter le curé de Dély Ibrahim, l'abbé
Serralda, si on souhaitait que la cérémonie religieuse ait
lieu à Bouzaréah (et inversement le cas échéant).
Ce n'était pas qu'il y ait eu un quelconque antagonisme viscéral
entre ces deux respectables religieux, mais plutôt une concurrence
quelque peu intéressée, ces cérémonies étant
susceptibles de produire d'intéressantes retombées pour les
maigres finances de ces deux paroisses.
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Dans
la presse locale, un exemple de célébration d'un mariage
civil à Dély-Ibrahim et de la bénédiction
religieuse par l'abbé Suchet en l'église de Bouzaréah.
On note que l'orgue (c'était en réalité un harmonium,
actionné par pédales) était tenu par Madame
Alberte Adreit (là, c'est bien orthographié...),
la maman de Bernard. |
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L'idée
d'avoir une église à Air de France commençait donc
à être déjà dans l'air lorsque, vers le milieu
des années 1950, il fut décidé (par l'archevêché
d'Alger ?) de rattacher totalement Air de France à la paroisse de
Dély Ibrahim bien que l'église en soit beaucoup plus éloignée
que celle de Bouzaréah et surtout qu'elle n'était desservie
par aucun moyen de transports en commun pratique au départ d'Air
de France. Il aurait fallu prendre le trolleybus de la ligne 6 jusqu'à
Châteauneuf puis espérer une correspondance avec le rare autobus
de la ligne 15 (anciennement ligne R) assurant la desserte de Dély
Ibrahim et Chéragas.
En 1953 l'abbé Serralda, curé de Dély -Ibrahim, céléra
la première messe de Noël dans un local de la maison Pénalva
appartenant à M Tillot
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AIR-DE-FRANCE
PAROISSE DE DÉLY-IBRAHIM
Nous
aurons cette année la messe de Noël. Jeudi soir, 24
décembre à 21 h 30, la messe de la nuit sera célébrée
maison Pénalva, dans le local appartenant à M. Tlllot,
adjoint au maire.
M. le Curé sera à la disposition des fidèles
à partir de 20 h
Echo
d'Alger du 23 décembre 1953
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AIR-DE-FRANCE
MESSE
de MINUIT.- Pour la première fois, la messe de Noël
a été célébrée à Air-de-France.
Malgré des conditions atmosphériques défavorables,
la foule des fidèles emplissait le local spécialement
aménagé pour la circonstance par des personnes de
bonne volonté auxquelles M. labbé Serralda,
curé de Dély-Ibrahim, adresse ses vifs remerciements
Le produit de la quête ainsi que toutes celles à venir,
est destiné à la première mise de fonds qui
permettra à notre centre dêtre un jour doté
dune église.
Echo
d'Alger du 26 decembre 1953
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Fort de cette expérience,
les catholiques d'Air de France demandèrent à l'abbé
Neau (qui avait remplacé l'abbé Serralda à Dély
Ibrahim) de venir célébrer une messe chaque dimanche matin,
qui accepta, à condition de trouver local disponible à cet
effet.
Cela fut aisément résolu car, dans le nouveau bâtiment
(était ce la maison Penalva ?) situé face à la brasserie
"Normandie", abritant déjà le salon de coiffure
de Madame Amato et la pâtisserie Sainte Marie, un local commercial
vacant n'avait provisoirement pas encore trouvé d'acquéreur
(était celui qui appartenanit à M. Tillot ?). Cette initiative
permit à un nombre croissant de pratiquants d'assister à l'office
le dimanche matin à 10 heures et demi, dans des conditions très
acceptables, une table autel, une table de communion avec prie-dieu et 6
à 8 bancs, en bois ayant été fabriqués à
cette seule intention.
Mais ce bâtiment n'était pas même une véritable
chapelle, et encore moins une véritable église, et la frustration
certaine qui en résultait conduisit à poser, de façon
aiguë, le problème de la construction d'un tel édifice
et à essayer de résoudre la question préalable du budget
nécessaire à une telle entreprise. En l'absence de "généreux
mécènes" fortunés, le projet fut formé
d'organiser une kermesse pour commencer à recueillir les fonds destinés
à provisionner ce budget.
Dans ce but, on fit appel à la générosité
des entreprises comme Limiñana (l'anisette Cristal) ou Spigol
(les épices) qui firent don de petits cadeaux publicitaires pour
les lots des pochettes-surprises, ou Bastos (les cigarettes) qui
prit en charge l'impression des affiches annonçant cet événement.
De nombreux donateurs anonymes fournirent aussi des lots destinés
à alimenter les divers stands. Dans le même temps chacun mobilisait
ses savoir-faire : layettes tricotées, fabrication de divers bibelots,
plantation de cactées dans de petits pots précédemment
peints etc
La première kermesse eut lieu, vraisemblablement en 1955 ou 56, sur
le boulodrome du CBB, attenant au Café des Pins (Ordinez) et remporta
un vif succès. Pendant toute cette journée ensoleillée
de mai ou juin, il y eut foule autour des stands de jeux et de nourriture
avec, bien entendu, une buvette bien approvisionnée en boissons (sodas
Crush ou Slim, bières "La Gauloise"
ou "33 Export") rafraîchies dans de grandes lessiveuses
emplies de blocs de glace.
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Kermesse
mai ou juin? 1956 ou 1957? au boulodrome du CBB à côté
du Café des Pins (Ordinez) : Roger Rambert derrière
son stand de préparation de cornets de chips, préparées
sur place dans la bassine à friture. |
Je me souviens de mon
père, passant toute la journée, devant sa bassine d'huile
bouillante, à confectionner continuellement de délicieuses
frites (en ce temps, on ne disait pas encore chips) chaudes, moelleuses
et croustillantes à souhaits, dont il emplissait les cornets de papier
blanc et dont, malgré ses efforts, il ne parvenait pas à satisfaire
la demande.
L'oncle de Raymond "Riri" Villa animait une course de petits chevaux
mécaniques et avait inscrit au-dessus de son stand "Ici comme
à Auteuil, les chevaux gagnent dans un fauteuil et comme au Caroubier,
les doigts dans le nez". Mon oncle Louis "Loulou" Ferrer
avait pris en charge un jeu consistant à lancer des pièces
de 5 francs (de l'époque) en direction d'une assiette de faïence
flottant sur une bassine d'eau, le but étant que la pièce
lancée reste dans l'assiette pour gagner un lot.
Il y eut aussi une "enchère à l'américaine"
pour gagner le gros lot (dont je ne me souviens plus en quoi il consistait).
Ce système d'enchères qu'avait brillamment animé, "au
micro", mon oncle Guy Sautet, avec le concours subreptice d'un "baron"
ou "compère", joué par Henri Cholet, dont le rôle
était de faire monter plus ou moins artificiellement les enchères,
avait pour règle que chaque enchérisseur devait verser, sans
espoir de remboursement, la différence entre l'enchère précédente
et le montant qu'il proposait. L'enchère se terminait lorsque plus
aucun enchérisseur ne se manifestait et il suffisait au dernier enchérisseur
de proposer une somme modique (100 francs de l'époque par exemple)
pour espérer remporter l'enchère dont tous les enchérisseurs
précédents avaient constitué par leurs apports toujours
modestes le montant (que les organisateurs espéraient le plus élevé
possible et à quoi s'évertuait le "compère")
et gagner ainsi un lot valant plusieurs dizaines de milliers de francs (toujours
de l'époque).
Cette première édition fut renouvelée l'année
(ou peut-être les deux années) suivante(s) dans des conditions
analogues mais un conflit surgit rapidement entre l'abbé et le Conseil
Paroissial, organisateur de la kermesse, quant à l'utilisation des
bénéfices de cette journée.
Dans le même temps, le local provisoirement utilisé comme chapelle,
ayant trouvé un acquéreur qui le destinait à son utilisation
commerciale naturelle, la communauté catholique se trouva de nouveau
privée de lieux de culte. La conjonction de ces deux évènements
imposa alors à Monseigneur Pignier, évêque auxilliaire
d'Alger, qui assurait l'intérim de l'archevêché depuis
la disparition de Monseigneur Leynaud, de rencontrer le Conseil Paroissial
pour tenter de trouver un terrain d'entente et une solution acceptable.
Il en résulta le rattachement définitif d'Air de France à
la paroisse de Bouzaréah et surtout, l'acquisition par l'Archevêché
d'Alger, d'un terrain destiné à l'édification de l'église
d'Air de France.
En attendant cette construction, les catholiques pratiquants d'Air de France
trouvèrent refuge dans le grand garage de l'entreprise d'équipements
sanitaires de Monsieur Chaix, rue
du Berry, où le "matériel" nécessaire
à l'exercice du culte (table autel, table de communion et bancs),
pouvait être entreposé. Ces équipements étaient
déployés chaque dimanche à 8 heures, dans ce même
garage entrepôt, pour accueillir la toute petite poignée de
fidèles (qui n'avaient jamais autant mérité ce qualificatif)
qui assistaient à la messe. De nouveau, ce fut l'abbé Suchet,
toujours curé de Bouzaréah (il le restera d'ailleurs jusqu'en
1962 et, après son retour en France, assistée de toujours
la même gouvernante, il bénéficia d'une semi-retraite,
en charge de l'Abbaye de "La Bénédictine" à
Fécamp) qui dut reprendre le volant de son vieux coupé "Peugeot
202" décapotable, de couleur marron, qui le conduisait de
Bouzaréah à Air de France, pour y célébrer cet
office.
-----L'achat par l'Archevêché
d'Alger d'un terrain, situé près de la laiterie Djaffer, destiné
à accueillir la future première église d'Air de France
était une première étape. Il fallait ensuite faire
dessiner les plans de cet édifice. Heureusement, le président
du Conseil Paroissial, Monsieur Fontas, qui exerçait la profession
d'architecte, avait déjà mis ses talents au service de la
communauté et avait dessiné des plans en accord avec les besoins
liturgiques et pastoraux et avec la taille du terrain disponible. Mais les
contraintes de la construction proprement dite dont la charge incombait
aux paroissiens et imposèrent au Conseil Paroissial de rechercher
de nouvelles sources de financement. Dans cette nouvelle dynamique, les
seules ressources escomptées pour alimenter le budget de construction
ne pouvaient provenir que des bénéfices provenant de nouvelles
kermesses.
---Mais en cette époque troublée, les problèmes
politiques en France et en Algérie, liés aux "évènements"
ne tardèrent pas à nettement interférer avec l'organisation
de telles manifestations. Au cours de la période d'incertitude résultant
des évènements du 13 mai 1958, alors que les réserves
des années précédentes avaient été absorbées
par "les premiers coups de pioche et les terrassements en cours d'exécution",
la kermesse, indispensable au réapprovisionnement des ressources
pour financer ces travaux, initialement prévue le 30 mai, dut être
reportée d'une quinzaine de jours, avec l'espoir d'un retour à
un climat plus calme.
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Coupure
de l'Echo d'Alger du 30 mai 1958 |
En raison de ce report
le lieu initialement prévu n'étant plus disponible à
la nouvelle date, cette kermesse un peu spéciale se déroula
donc, les 14 et 15 juin 1958, dans un bâtiment trouvé in extremis
et peu adapté à ce genre de manifestations, l'entrepôt
de l'entreprise Poisot situé route de Béni-Messous (rue de
Touraine).
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Dans
l'Echo d'Alger du 14 juin 1958 l'annonce de la kermesse dans l'entrepôt
Poisot |
Un peu spéciale
car le mélange des genres y avait atteint des sommets : le souhait
quasi général des Européens d'Algérie et des
Français-Musulmans fidèles à la France, étant
alors d'appeler le Général De Gaulle à revenir au pouvoir
pour bâtir, sur les décombres de la IVème République,
une nouvelle entité intégrant totalement l'Algérie
et les Algériens à la France (ces souhaits et cet espoir seront
hélas très rapidement déçus et la confiance
placée en cet homme "providentiel", complètement
trahie), de grands portraits du général, n'ayant rien à
voir avec le contexte de cette manifestation confessionnelle, étaient
arborés sur les murs de la salle où avait lieu la kermesse.
L'année suivante, alors que l'édifice tant espéré
commençait à sortir de terre, dans un climat encore un peu
euphorique, la dernière kermesse eut pour cadre le terrain situé
derrière l'école, entre la route de Bouzaréah et les
nouveaux bâtiments préfabriqués de la Mairie-annexe
du 7ème arrondissement du Grand Alger. En 1960, dans la foulée
de la "semaine des barricades" et des procès qui s'ensuivirent,
en 1961, après le "putsch des généraux",
et bien sûr, en 1962 après les soi-disant "accords d'Evian"
et le honteux cessez-le-feu qui en résulta, il ne fut plus question
d'organiser de nouvelles kermesses pour poursuivre et achever les travaux
de construction de cette église. Des inquiétudes plus essentielles,
plus vitales sur l'avenir de chacun en Algérie, d'autant que la solution
d'intégration devenait de plus en plus hypothétique et que
la menace d'un exode massif devenait plus probable, même si chacun
se refusait encore à l'envisager et à l'admettre, faisaient
passer au second plan la volonté spirituelle de participer à
la construction d'une église, devenue sans objet par la disparition
programmée de ceux à qui elle était destinée.
Les travaux programmés et provisionnés qui s'étaient
alors mollement poursuivis dans l'indifférence générale
jusqu'à épuisement des fonds disponibles furent alors définitivement
stoppés alors que les murs de briques de l'église d'Air de
France ne dépassaient pas une hauteur d'un peu moins de 2 mètres.
Cette église dont le projet et la construction avaient mobilisé
pendant plusieurs années tant de personnes motivées (parmi
lesquelles, outre mon père et mes oncles, les Suréda, Madame
Chaix, les Fenech, les Massini et beaucoup d'autres), resterait donc malheureusement
irrémédiablement inachevée, ce qui, récemment
et donc bien des années plus tard, a suscité ce commentaire
désabusé d'un ancien élève Français-Musulman
de l'École Mixte d'Application d'Air de France : "Une image
que je n'oublierai jamais, c'est l'église qui n'a jamais été
achevée. Quel dommage!". Belle et triste épitaphe
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