ETUDE HISTORIQUE SUR LA VILLE D'AUMALE - Période Française
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PERIODE FRANÇAISE - 2
Sous l'aile droite de l'hôpital, de la manutention et des casernes, trois immenses citernes étanches étant toujours pleines contiennent une réserve de deux mille cent mètres cubes d'eau douce.
Il y a une vingtaine d'années, le Génie fit construire sur deux sommets montagneux, au sud-est et à l'ouest de la ville et à environ 800 mètres, deux blockhaus qui rendront de signalés services en cas d'insurrection.
Toutes ces constructions ont été édifiées dans le laps de temps cité plus haut et ont coûté énormément cher. D'après l'évaluation faite en octobre 1872 par une commission du Génie, elles sont estimées à 15 millions.
De 1847 à 1871, les tribus nomades des environs d'Aumale, donnèrent toujours à la France des marques d'un respect et d'un attachement au moins apparent n'attendant peut-être que l'occasion de se révolter et de redevenir maîtresses de leur ancien pays. L'insurrection de Mokrani du printemps de 1871 nous montrera jusqu'à quel point ce calme était trompeur.
A cette époque (février 1871) la subdivision d'Aumale était commandée par le lieutenant colonel Trumelet ayant sous ses ordres le capitaine Cartairade comme chef de bureau arabe, deux adjoints, le capitaine Bellot et le lieutenant Masson, l'interprète Guin.
La garnison se composait d'environ six cents mobiles de la Côte d'Or et d'un escadron de chasseurs d'Afrique fort de 120 hommes. L'artillerie comprenait deux obusiers de 16 et 3 de montagne. II y avait très peu d'eau en ville.
A son retour d'Alger, où il venait de se marier, le bachagha de la Medjana, .El-Hadj Mohammed Ben El-Hadj Mokrani, résidant près de Bordj-Bou-Arréridj, s'arrêta près d'Aumale, chez l'agha des Arib, Yahia Ben Ferhat, où il déposa ses bagages et vint séjourner pendant trois jours chez le nommé Mohammed Ben Abdallah, chaouch révoqué et conseiller municipal indigène, qui possédait une petite campagne dans les environs d'Aumale.
Pendant son séjour, il reçut la visite de notables et de chefs indigènes, les mit au courant de ce qui se passait en France, leur fit entrevoir que le moment de s'insurger était arrivé ; après son départ pour la Medjana, les correspondances continuèrent ainsi que la propagande faite par les mokaddems des Rahmania. qui recrutèrent bon nombre d'affiliés, parmi les tribus des environs d'Aumale et de la Kabylie.
L'autorité militaire, avertie, ne pouvait cependant pas sévir contre Mokrani, celui-ci était devenu suspect mais on ne possédait pas de preuves suffisantes pour l'arrêter.
Le cercle d'Aumale était partagé en deux sofs, celui du Titteri et celui d'Arib. Mokrani, certain que les premiers le suivraient dans la voie de l'insurrection, mit à profit l'amitié qui l'unissait au caïd de Tizi-Ouzou. Ali Ou Kaci, et au bach-agha de Fort -National~ pour les gagner à sa cause. Une propagande active était également faite dans la subdivision de Médéa : l'Est de la subdivision d'Aumale était laissé aux soins du frère de Mokrani, Ahmed Bou-Mezrag EI-Mokrani. Le cercle de Bou-Saâda et de Djelfa était sous le commandement de son beau-frère et cousin Saïd ben Bou-Daoud, caïd du Hodna, il avait donc tout en mains pour mener à bonne fin son entreprise.
Plusieurs néfras eurent lieu dans les marchés environnant Aumale et Bordj Bou-Arréridj, le caravansérail de Béni-Mansour fut abandonné par son gardien Galland.
Le 1er mars, ce caravansérail brûlait, et le lieutenant-colonel Trumelet envoyait de suite 50 zouaves pour le remettre en état et le réoccuper, et aider la police des environs. Il faisait également occuper par des petits postes les caravansérails d'El Asnam, Sidi-Aïssa et de Oued O kriss, en les approvisionnant de munitions et de vivres.
Le 15 mars, Mokrani donna dans une lettre au général Angereau, sa démission de bach-agha, lui faisant connaître en même temps qu'il allait prendre les armes contre la République.
Le 16 mars, il attaquait Bordj Bou-Arréridj et Bou-Mezrag, le 18 le Bordj de Oued Okriss (le Bordj de l'Oued Okriss se trouve à 28 km à l'Est d'Aumale. Une grande plaque en marbre placée au-dessus de la porte d'entrée relate la création du bordj et les tristes événements qui s'y déroulèrent pendant l'insurrection ). Je vais relater le récit des faits qui se sont déroulés à l'Oued O kriss, du 18 au 24 mars 1871, et qui m'ont été racontés avec un vif intérêt par l'honorable M. Rey, dit Genty (Jean), qui était à l'époque, âgé de 21 ans et qui habitait le Bordj en compagnie de ses parents. Je lui laisse la parole.
Un soir de la fin de février 1871, et vers cinq heures, le caïd. Saidan, accompagné de son cavalier, Aissa, firent irruption dans le caravansérail me disant : je viens de la part des autorités supérieures d'Aumale pour t'aider à garder le Bordj, Bou-Mezrag se proposant de venir le détruire. Nous restâmes ainsi cinq ou six jours en éveil. Dans les commencements de mars, il nous fut envoyé un petit détachement (10 zouaves et 1 tirailleur). Comme je parlais très bien l'arabe, les indigènes avaient pour moi une certaine sympathie, j'étais au courant des intentions et mouvements de Bou-Mezrag qui avait ses tentes à l'endroit dit Ben Daoud,, sur les limites de la province d'Alger et de Constantine et à vingt deux kilomètres de Bordj. Un matin, un indigène vint me prévenir que les insurgés allaient prendre le Bordj et nous couper le cou. Porteur de ce renseignement et accompagné du fils du caïd Saidan, Mohammed ben Saidan, je partis le l2 au matin, prévenir à Aumale, le lieutenant-colonel Trumelet, commandant la subdivision et le mis au courant en lui demandant de nous envoyer au moins un renfort de dix hommes. Le capitaine Cartairade du bureau arabe, qui assistait à cette entrevue, intervint et nous traita de peureux. Nous retournâmes au Bordj, mécontents de notre démarche qui n'avait pas abouti.
Jusqu'au mercredi 18 au soir, rien d'anormal. Le jeudi à 9 heures et demi du matin nous entendîmes à moins de quatre cents mètres, les premiers coups de feu tirés par les insurgés, contre la tribu des Ouled Salem, préposée à notre garde. Aussitôt, les militaires, mon père et moi, nous mîmes en état de défense, après avoir fait rentrer notre troupeau. La fusillade commença et dura jusqu'à 4 heures et demi du soir. Alors les insurgés se retirèrent, laissant un mort, leur porte-drapeau, Ben Temtem, qu'ils ne pouvaient enlever en raison de la proximité de nos feux.
Vers 5 heures, le zouave Pivert et moi, sortions du Bordj et nous emparions, lui, du drapeau confectionné d'un foulard de soie verte et jaune et attaché au bout d'un roseau, moi, du pistolet du mort, que je conservai comme souvenir. J'en fis cadeau plus tard au capitaine Girardin, qui désirait l'avoir.
Vers 5 heures, le zouave Pivert fut proposé pour la médaille militaire, le zouave Lallemand, pour le grade de caporal.
Le Zouave Ducoin qui se trouvait au bastion où fut tué Ben Temtem fut également proposé pour ce grade : dans la nuit du 19 au 20, un renfort envoyé d'Aumale et se composant de 70 cavaliers du 1er Chasseurs d'Afrique et d'un goum à peu près d'égale force, fit dans la nuit, une reconnaissance dans les Béni-Inthacem. Après avoir essuyé quelques coups de feu qui blessèrent à l'épaule gauche un maréchal des logis de chasseurs, un brigadier à la cuisse droite et tuèrent la jument d'un goumier, nous leur fîmes une vingtaines de victimes. L'ennemi se retira vers le Djebel Affroun.
Pour couper la route à Bou-Mezrag, campé au lieu dit El Guintra, celui-ci -prévenu par un des goumiers à notre service, quitta son emplacement et vint nous attendre en pleine forêt d'Es-Sroudj (tribu des Msellem), ayant fait ainsi un grand mouvement tournant. Nos troupes arrivèrent à cet endroit vers 7 heures du matin et sans aucune défiance, elles furent accueillies par une vive fusillade partant de derrière les arbres. L'ennemi était fort de 2 à 3.000 hommes, notre colonne se composait de 800 hommes environ, goum compris. l'obusier et 150 chevaux.
Le premier moment de stupeur passé, nous répondîmes par un feu vif ; après trois heures de lutte contre ces hordes fanatiques dont le nombre augmentait à chaque instant, le combat devint de plus en plus acharné de part et d'autre, les mobiles durent plusieurs fois charger à la baïonnette : dans leur ardeur, ils en vinrent à un corps à corps général. L'ennemi serré de quatre côtés à la fois, battit en retraite et se replia dans les ravins, où il fut accompagné par le tir bien dirigé de l'obusier servi par des canonniers Coquet et Ollagnier, du 3° d'artillerie, tir qui leur cause quelques pertes.
Le lieutenant-colonel Trumelet fit plusieurs fois sonner le rassemblement et c'est avec trop de mal qu'il put se faire écouter.
Les pertes ennemies étaient considérables, deux cents morts, autant de blessés, ainsi qu'un grand nombre de chevaux tués, blessés et abandonnés.

Malheureusement de notre côté, nous avions à déplorer la mort de seize hommes et d'un officier. Ce dernier fut trouvé les mains coupées, le lendemain, dans un épais fourré, par les mokhasnis envoyés à sa recherche, ainsi que les corps de 9 mobiles, complètement nus. Cette nouvelle mit la tristesse dans nos rangs et ce n'est que grâce au sang-froid des officiers, retenant leurs hommes qui voulaient à toute force venger leurs camarades, que ceux-ci furent empêchés de se lancer spontanément sur les traces de l'ennemi, dans une poursuite qui eut été sans doute très dangereuse.
Ci-dessous les noms des victimes :
- Bélot, Charles-Constant-Gustave, capitaine au 18° régiment de ligne, adjoint au bureau arabe d'Aumale, né à Besançon (Doubs) 31 ans.
- Moppert, Ernest, né à Beauène, 30 ans.
- Blanchard, François, né à Dernaud, 21 ans.
- Deschamps, Pierre, caporal au 2° bataillon, né à Marcheseil, 29 ans.
- Michot, Pierre, né à Bouchery, 21 ans.
- Pernot, Jacques, né à Liernais, 24 ans.
- Loranchet, Philibert, né à Nuits, 34 ans.
- Loranchet, Claude, né à Nuits, 31 ans.
- Moillard, Symphorin, né à Nuits, 24 ans.
- Buffenoir, Jacques, né à Nuits, 24 ans.
- Fournier, Pierre, né à Boncourt, 31 ans.
- Fromentin, Nicolas, né à Noiron-les-Citeaux, 32ans.
- Célogny, Marcel, né à Mâcon, 27 ans.
- Compain, Joseph-Claude, né à Cirey, 21 ans.
- Changarnier, Lazare, né à Nolay, 30 ans.
- Duchemin, François, né à Cirey, 32 ans.
- Manlay, Jean-Baptiste, né à Larochepot, 30 ans.
Tous gardes nationaux, victimes glorieuses du combat d'Es-Sroudj, le 23 mars 1871.
D'importantes funérailles leur furent faites le 25 mars, les honneurs militaires leur furent rendus, et un grand concours de population suivit le cortège. Leurs corps reposent au cimetière d'Aumale, où un monument commémoratif portant leurs noms a été élevé par leurs camarades.
   
Monument élevé aux Mobiles tués pendant l'insurrection de 1871
La colonne, après avoir ramassé une partie de ses morts, se dirigea sur Aumale où elle arriva le même jour à 5 heures et demi du soir.
Le 24 au matin, quelques insurgés se montraient aux alentours du Bordj : prendre les armes ne fut l'affaire que d'un instant.
Un tirailleur, en décrochant maladroitement son fusil fit partir le coup, atteignant en pleine poitrine le zouave Pivert, qui mourut dans nos bras un quart d'heure après ; son corps fut enterré par nos soins près du Bordj, les arabes le déterrèrent nuitamment, lui coupèrent le cou et firent un trophée de sa tête.
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